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tardé[1] ! » Toutes ses lettres sont pleines d’objurgations semblables. Les raisons qu’invoque Luxembourg pour modérer cette impatience font honneur à son équité. « Je vous supplie, monsieur, dit-il[2], de vouloir bien représenter à Sa Majesté que, si l’on a apporté quelque longueur au jugement du procès, c’est qu’il était bien malaisé qu’on en usât d’autre manière, parce que, s’agissant de la vie d’un homme, il me semble qu’il n’y a point de formalités qui ne doivent être observées. Ce n’est pas que je ne le croie coupable et que, dans le désespoir où j’étais de l’infamie qu’il venait de faire, je ne l’eusse, au premier moment, assommé de bon cœur par colère. Mais, quand il est question de juger un homme d’un sang froid et rassis, je connais assez bien le Roi pour être persuadé qu’il me saurait mauvais gré si l’on avait été trop brusquement en besogne... Ce n’est d’ailleurs qu’un retardement, qui, je crois, n’amendera pas son marché. »

L’instruction, en effet, fut accablante pour le gouverneur de Naerden. Ses récriminations, ses explications enfantines, et le témoignage unanime des officiers et des soldats, tout concourut à démontrer son incroyable impéritie. « Jamais, dit Luxembourg au sortir de l’audience, il ne s’est vu une faiblesse et une pauvreté pareilles à la sienne ! La tête lui tourna quand il vit les ennemis. On voit visiblement, par les pièces du procès, qu’il a eu peur et que cela l’a empêché d’agir. Il n’a donné aucun ordre pour se défendre[3]. » Le cas, à vrai dire, est étrange. Que du Pas eût trahi, nul ne le pensa sérieusement. Le reproche qu’on lui fit, d’avoir voulu, « par avarice, » préserver du pillage quelque argent extorqué par lui dans la ville de Naerden, ne fut appuyé d’aucune preuve. La pusillanimité dont parle Luxembourg est difficile à croire d’un vieil officier de carrière, tout criblé de blessures, estimé par Turenne ; et la fin de sa vie suffirait au besoin à l’innocenter sur ce point. La seule explication plausible est qu’il fut saisi brusquement de cette paralysie d’esprit, qui frappe les gens sans caractère lorsqu’ils se voient aux prises avec une tâche au-dessus de leurs forces, et qui les jette, au moment décisif, dans un abîme de doutes et de perplexités où leurs facultés font naufrage.

C’est cette pensée qui, selon l’apparence, dicta aux juges un

  1. Lettres des 3 et 24 octobre. — Archives de la Guerre, t. 367.
  2. 3 novembre 1673. — Archives de la Guerre, t. 329.
  3. 7 novembre. — Archives de la Guerre, t. 357.