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partir pour s’en retourner en Flandre. Comme je crois que c’est ce que les ennemis ont de meilleur, je fais état, dès que je verrai les Espagnols hors de portée, de marcher droit aux lignes des ennemis. Je ne vous dis pas encore ce que je pourrai, parce que je veux les bien reconnaître avant que de me déterminer à quelque chose... Quoique j’aie un peu de fièvre aujourd’hui, ajoute-t-il de son ton de raillerie habituel, je ne laisserai pas, tout en tremblant, de marcher à l’ennemi, ce qui me sera commode, parce que l’on attribuera à mon mal ce qui ne viendra peut-être que de ma propre nature. » Le lendemain, à midi, il apprenait effectivement que les troupes espagnoles avaient quitté Naerden. Il marchait aussitôt aux lignes de Guillaume ; mais ce dernier, peu soucieux d’une rencontre, avait décampé la nuit même, se bornant à laisser une bonne garnison dans la place. « Au lieu de soutenir la gageure, dit Luxembourg avec chagrin, ils laissèrent là leurs lignes et marchèrent dans la nuit... J’allais à eux avec un joli corps, et je ne doute point que nous les eussions forcés, ce qui aurait été une petite représaille de la prise de Naerden, que du Pas a rendue un peu pis qu’à la hollandaise[1]. »

Sans se décourager, il songe encore, à quelques jours de là, à reprendre Naerden, ce qu’il croit « chose faisable » pour peu que le Roi le désire. « Ce n’est pas, reprend-il, que la perte de cette place nous incommode beaucoup cet hiver ; mais, il ne faut pas se flatter, elle a fort relevé les affaires du prince d’Orange en Hollande ; et elles retomberaient en méchant état si nous avions repris la ville[2]. » Louvois, auquel s’adressait cette requête, déclina nettement l’aventure. La situation politique, l’entrée en scène des deux armées de l’Empereur et du Roi d’Espagne, détournaient ses regards vers un autre horizon et reléguaient au second plan les affaires de Hollande. « Sa Majesté, répondit-il, sera satisfaite, pourvu que vous mettiez les choses en état que le prince d’Orange ne fasse plus de conquête. » Tout ce que l’on pourrait essayer, disait-il, si l’on voyait le stathouder affaiblir son armée pour renforcer les Espagnols, serait de pénétrer en Gueldre et d’y attaquer quelques places ; ce que Condé déconseillait, pour sa part, avec vivacité : « M. de Louvois me mande, dit-il à Luxembourg, qu’il vous propose de grandes conquêtes

  1. Luxembourg à Condé, 19 septembre 1673. — Archives de Chantilly.
  2. 25 septembre. — Archives de la Guerre, t. 327.