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Quoi qu’il en soit, grâce aux coups de fusil ; ou, comme le prétendait le lieutenant W..., grâce à notre marche sans distances, nous ne fûmes pas attaqués ; tout se borna à quelques flèches tirées de loin.

A midi j’eus un soulagement quand nous arrivâmes en plaine, le terrain s’abaissait doucement vers le Victoria Nyanza. En même temps, un violent orage s’abattit sur nous, qui détendit les arcs aux flèches empoisonnées et fit rentrer les indigènes dans les bois. Cinq kilomètres avant d’arriver au fort, les poteaux télégraphiques étaient arrachés, les fils traînés dans la brousse comme si un violent ouragan eût passé par là.

Enfin, à six heures, de la montagne qui domine le fort j’apercevais les Ilots bleus du Victoria et le fort Ternan qui eût paru très tranquille, n’était le nombre des sentinelles.

Le lieutenant W... commandait le fort Ternan en l’absence de son capitaine alors à Port-Alice, siège du gouvernement. En sous-ordre, il eût été un officier modèle, tant il était scrupuleux de ce qu’il croyait son devoir. Dans une position aussi délicate, il manquait de cet « en avant » qu’avait M. C... : la responsabilité du fort à défendre et, surtout, de cette précieuse caravane contenant tous les robinets du steamboat cher à lord Salisbury, le tourmentait jour et nuit. L’impression causée par le massacre de toute cette arrière-garde, massacre auquel aucun homme n’avait échappé, lui faisait croire les indigènes beaucoup plus hardis et plus manœuvriers qu’ils ne l’étaient en réalité.

Notre rencontre, en ces circonstances, ne présentait d’agrément ni pour l’un, ni pour l’autre. Ma qualité d’officier français, qui lui était connue, le porta à prendre, pour ma sauvegarde, des mesures de précaution dont je l’eusse dispensé, d’autant plus qu’il cherchait simplement à dégager sa responsabilité en cas d’accident. En pays étranger, le devoir strict de tout officier est d’éviter tout ce qui est la toilette intime de l’armée, tout ce qui est vie militaire dans les camps ou dans les forts. En temps ordinaire, j’eusse dressé ma tente le plus loin possible du fort, pour ne pas faire croire à une curiosité indiscrète ; aussi est-ce sans enthousiasme, pour la position délicate où j’étais, que je me vis invité à camper, par mesure de sécurité, près de la demeure du lieutenant W..., au milieu des soldats anglais.

Je suis forcé, — que le lecteur me le pardonne — de faire un