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Les vivres s’épuisent, le troupeau diminue ; je trouve urgent de partir avec cent porteurs et trente soldats et me fais fort de rapporter du millet : j’essuie un refus.

Les travaux du fort étant terminés, je m’ingénie tous les jours à faire accepter une idée qui occuperait chefs et soldats. Nous avions vu en venant la ligne télégraphique encore debout à six kilomètres du fort ; je propose d’aller avec une escorte, faire une prise de ligne, pour avertir le Protectorat de notre fâcheuse situation. Dans le fait, c’eût été impossible ; la ligne avait été coupée depuis sur plus de cinquante kilomètres.

Que se passait-il derrière les montagnes enserrant le fort Ternan ? Nous sûmes depuis que les indigènes circulaient à l’abri de nos vues et en toute tranquillité, à moins de cinq kilomètres du fort. Des petits postes de jour aux sommets des montagnes environnantes, bien soutenus par les mitrailleuses en cas de retraite, nous eussent donné un peu d’air.

Pour occuper ces deux cent cinquante porteurs qui mangeaient nos vivres, il eût été tout naturel de leur faire amorcer une route en aval et en amont du fort. Mais la compagnie du chemin de fer voulait que la route fût faite par le Protectorat qui en avait besoin pour ses ravitaillemens. Le Protectorat soutenait qu’avant deux ans, la ligne ayant progressé, la route serait nécessaire à la compagnie pour la construction de la voie. Cependant compagnie et Protectorat puisent tous deux à la bourse du contribuable anglais. Commencer la route eût été créer un précédent, il n’y fallait pas songer.

Dix jours s’étaient écoulés sans aucune nouvelle de l’extérieur. J’organisai ma vie entre la chasse et le travail.

J’avais reçu défense de sortir du fort à cause des risques à courir. J’allais chasser à la dérobée, M. C... venait quelquefois avec moi. Pour mes noirs, c’était une précieuse distraction et un supplément à leur misérable ordinaire. Aussi, ne se faisaient-ils pas prier pour m’accompagner. Dans la vallée, trois grandes antilopes, de celles appelées « hard heast » de Jackson, étaient comme le cerf de saint Hubert qu’on ne pouvait jamais joindre. Mes noirs et moi fîmes des courses folles sur leurs traces. Je réussis à en tirer une à trois cents pas et entendis le son mat de la balle frappant en chair. Malgré une poursuite de plusieurs heures, nous ne pûmes l’avoir. Le lendemain à la même place, un grand vol de vautours planait autour du squelette