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Une idée très générale est que l’Anglais sait très confortablement s’organiser partout où il se trouve : ce n’est pas l’impression qui résulte de la comparaison entre la station allemande de Moshi et celles du territoire anglais. A Moshi, c’est le luxe presque ; mais l’Allemagne loge sans doute plus généreusement que l’Angleterre. Ce que pourraient faire en tous cas les officiers anglais, c’est, à l’exemple des missionnaires français, de bâtir en pierres. Nay-Robi, la capitale du chemin de fer et bientôt celle de tout le pays, est appelée l’Iron Tower, la ville de fer, parce qu’elle est toute bâtie en tôle ondulée : maisons, y compris le toit et les murs d’enceinte, gares de chemin de fer, édifices publics, tout est en métal, chaud le jour et froid la nuit. Pendant que les Anglais, missionnaires ou officiers, logent dans des paillotes en bois et terre battue, pas beaucoup meilleures que celles des indigènes, le Français dans sa mission est maçon, charpentier, jardinier ; il sait où trouver de la chaux et bâtir des maisons à deux étages avec de larges varangues ; aussi dit-on de lui avec un grand sérieux : « Il a bâti en pierre. » Quelques bengalows cependant ont été construits à Nai-Robi, mais avec des matériaux venus d’Europe. L’Anglais arrive dans le pays avec de bonnes tentes, de bonnes armes, tout au complet, jusqu’au sac à éponges ; il transporte aux colonies le confortable des voyages d’Europe, comme l’escargot traîne avec lui sa coquille. L’utilisation des ressources n’est faite que par le Français ; savoir tirer parti de peu sera toujours le privilège de notre race : ainsi faisais-je mon Robinson au fort Ternan. La main-d’œuvre ne me manquait pas : mes porteurs bâillaient d’ennui, assis en rond autour de moi. Je leur fis faire successivement un kiosque rustique prolongeant ma tente, des tables, une chaise longue des plus primitives pour sommeiller les après-midi. Plus hardi, j’entrepris un tir à la cible ; les cartouches ne manquaient pas au fort ; il y en avait par milliers et cependant les Soudanais tiraient horriblement mal. Les vivres touchaient à leur fin, nous approchions du moment où nous serions forcés de nous faire jour et les balles bien tirées des Soudanais pouvaient aider à notre délivrance. La cible était faite d’une peau de vache séchée et tendue sur un cadre : on tirait du fort et les balles se perdaient dans le campement des Oua-Nandis qui ne réclamaient pas d’indemnité. Malheureusement les hyènes et les léopards faisaient concert la nuit autour de la peau de vache, l’arrachaient,