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de publier un journal. » Non, il n’aurait pas vécu. Il ne fut pas tué par l’impossibilité d’exprimer sa pensée, mais par l’obligation, pour nourrir sa famille, de tirer sans répit de son cerveau des pensées non mûries. Il tomba sur le sillon, exténué, à bout de forces. La plus modeste aisance matérielle l’eût conservé et, en lui assurant le loisir de la réflexion, lui eût permis de devenir le plus éminent créateur d’idées de notre siècle, tandis qu’il n’en a été que le plus extraordinaire critique, écrivain toujours admirable, mais sensé et cohérent par échappées seulement et le plus souvent confus et contradictoire.


La mort de Morny laissait vacante la présidence du Corps législatif. L’Empereur, depuis la Convention du 15 septembre, se croyait tenu à une réparation envers Thouvenel, renvoyé pour avoir proposé ce que Drouyn de Lhuys venait de réaliser. L’Impératrice, revenue à de justes sentimens, voyant qu’elle n’avait rien gagné au change, s’associait à cette préoccupation. On fit offrir à l’ancien ministre la succession de Morny ; mais déjà très atteint dans sa santé, trop modeste et trop avisé pour accepter une tâche difficile à laquelle il n’était point préparé, Thouvenel refusa. Le premier vice-président Schneider paraissait naturellement indiqué par sa haute situation personnelle et son crédit dans l’Assemblée. Le jeune brouillon très remuant Jérôme David se déchaîna à la cour, où il était fort accueilli, contre ce choix, espérant l’obtenir pour lui. — Schneider, prétendait-il, manquerait de la vigueur nécessaire pour contenir l’opposition, comme lui-même saurait le faire. — On le jugea de trop mince envergure, mais on décida que Schneider serait mis à l’épreuve par une présidence provisoire. Cette vacance prolongée pendant la session serait un dernier hommage rendu au président défunt.

Le prince Napoléon me proposa de poursuivre ensemble, en l’agrandissant, le plan concerté avec Morny. Il ne voulait plus des candidatures officielles ; il méditait la destruction de notre système communal, de la commune latine, et la constitution des select-men, à l’instar des Etats-Unis, nommés directement par le peuple et chargés des services spéciaux. Mais cette idée n’était pas mûre, et il croyait nécessaire, en attendant, d’exiger le choix du maire dans le conseil municipal. Il ne considérait pas comme suffisant le vote du budget de Paris par le Corps législatif ; il voulait que les neuf députés de la Seine fissent partie de droit de la