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auquel il ne résistait pas, aussi sévère avec la plume qu’il était doux en paroles, il dicta tout d’une haleine à Pietri la lettre suivante : « Monsieur et très cher cousin, — Je ne puis m’empêcher de vous témoigner la pénible impression que me cause la lecture de votre discours d’Ajaccio. En vous laissant pendant mon absence, auprès de l’Impératrice et de mon fils comme vice-président du Conseil privé, j’ai voulu vous donner une preuve de mon amitié, de ma confiance, et j’espérais que votre présence, votre conduite, vos discours témoigneraient de l’union qui règne dans notre famille. — Le programme politique que vous placez sous l’égide de l’Empereur ne peut servir qu’aux ennemis de mon gouvernement. A des appréciations que je ne saurais admettre vous ajoutez des sentimens de haine et de rancune qui ne sont plus de notre époque. Pour savoir appliquer aux temps actuels les idées de l’Empereur, il faut avoir passé par les rudes épreuves et la responsabilité du pouvoir. Et, d’ailleurs, pouvons-nous réellement, pygmées que nous sommes, apprécier à sa juste valeur la grande figure historique de Napoléon ? Comme devant une statue colossale, nous sommes impuissans à en saisir à la fois l’ensemble ; nous ne voyons jamais que le côté qui frappe nos regards : de là l’insuffisance de la reproduction et les divergences des opinions. — Mais ce qui est clair aux yeux de tout le monde, c’est que, pour empêcher l’anarchie des esprits, cette ennemie redoutable de la vraie liberté, l’Empereur avait établi dans sa famille d’abord, dans son gouvernement ensuite, cette discipline sévère qui n’admettait qu’une volonté et qu’une action. Je ne saurais désormais m’écarter de la même règle de conduite. »

La lettre finie, l’Empereur dit à Pietri : « Comment la terminer ? Je ne puis cependant pas lui exprimer des sentimens affectueux. — Votre Majesté, répondit le secrétaire, écrit une lettre officielle ; il n’y a qu’à employer la formule d’usage en pareil cas, — Vous avez raison. — » Et la fin de la lettre fut : « Sur ce, Monsieur et cher cousin, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde. » (Du 26 mai 1865.)

Le discours du Prince avait produit à Paris une indignation violente dans le monde officiel. Cette émotion avait été accrue par un article contre la Chambre de Guéroult, qu’on savait le porte-plume du Palais-Royal. Le marquis de Pierre, très échauffé, me demanda ce que je pensais. Je le calmai et l’engageai à conseiller