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de ma part à l’Impératrice de ne rien faire de son chef, d’attendre ce que déciderait l’Empereur, de se garder de frapper l’Opinion nationale, car il semblerait qu’on se vengeait sur le valet de ce qu’on n’osait contre le maître. — Mais, me répondit de Pierre, l’article est insultant contre la Chambre. — Eh bien ! que La Valette appelle Guéroult et fasse la grosse voix ; il obtiendra une rétractation. »

C’est ce qui fut fait. L’Impératrice garda son sang-froid. Le Prince à son retour vint la voir. — « Eh bien ! Madame, allez-vous me faire mettre à Vincennes ? — Je le ferais certainement, si l’Empereur m’en eût donné l’ordre ; mais j’attends sa décision. » La lettre de l’Empereur arrivée, elle manda le Prince, la lui remit et donna au ministre de l’Intérieur La Valette l’ordre de l’insérer au Journal officiel.

J’allai aussitôt au Palais-Royal : personne dans le salon d’attente. Le Prince, plus abattu qu’irrité, ne manifestait aucune animosité contre l’Impératrice, il m’en par la même avec admiration ; mais sa fureur éclata contre La Valette : c’était son ami, il aurait dû se retirer plutôt que de consentir à insérer la lettre impériale au Journal officiel ; il ne lui pardonnerait pas cette trahison. Rouher ne fut pas épargné davantage. « Après cette répudiation des idées libérales, vous n’avez, me dit-il, qu’à vous rejeter dans l’opposition extrême ! » Je lui donnai des conseils plus modérés : il devrait attendre l’Empereur et s’expliquer avec lui. Il n’eut pas cette patience. Il envoya sa démission de membre du Conseil privé, de président de l’Exposition universelle de 1867. Donner sa démission était la seule manière dont il exerçât son activité politique : il ne prenait pas même le temps de revêtir une de ses dignités avant de les user. — En outre, il congédia chambellan et dame d’honneur, et se retira dans sa terre de Prangins, faisant déclarer par ses amis qu’il ne reprendrait sa situation officielle que si on lui accordait des réparations, dont la principale serait le renvoi de La Valette.

Cette malheureuse harangue d’Ajaccio, inspirée par une pensée libérale, tourna contre la liberté : l’Empereur s’ancra d’autant plus dans sa résolution d’immobilité qu’en s’avançant il eût parut obéir à l’ultimatum insolent de son cousin. L’effet de mon discours en l’ut très affaibli. Le Prince avait mal tenu sa promesse de seconder mon entreprise.