Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XII

Les jeunes coquins âgés de moins de seize ans, acquittés comme ayant agi sans discernement, mais non remis à leur famille (art. 66 du code pénal) étaient soumis, souvent pendant plusieurs années, dans la prison de la Petite Roquette, à l’atroce régime d’un emprisonnement cellulaire de jour et de nuit. Ce régime constituait une violation flagrante de la loi du 5 août 1850, qui, loin d’établir l’emprisonnement cellulaire, avait voulu l’éducation en commun, l’application aux travaux de l’agriculture et aux industries qui s’y rattachent. L’Impératrice, étant allée visiter cet enfer, avait été émue, et avait fait créer par l’Empereur revenu d’Algérie une commission pour rechercher s’il n’y avait pas lieu de supprimer cette prison et d’y substituer un régime moins féroce dans des colonies agricoles (22 juin 1865). La commission se composait du préfet de police Boittelle, du président du Conseil d’Etat, Vuitry, de Mgr Darboy, du procureur général de Marnas, du conseiller d’Etat Cornudet, de l’ancien président à la Cour de cassation Déranger, du docteur Rayer, du député Mathieu ; on me demanda d’en faire partie et j’y consentis.

A la fin de la première séance, j’arrivais dans la cour des Tuileries lorsque Bosredon, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, secrétaire de la Commission, homme fort aimable et très distingué, me prit à part et me dit que l’Impératrice désirait causer avec moi au jour et à l’heure qui me conviendraient. Je fixai le mardi 27 juin. Je la trouvai seule, à côté d’une petite table chargée de livres, son fauteuil protégé par un petit paravent. Elle se leva, m’invita à m’asseoir. Au bout de quelques instans la porte communiquant avec les appartemens intérieurs s’entr’ouvrit ; l’Impératrice fit un signe de la main ; alors la porte s’ouvrit tout à fait, l’Impératrice se leva et, d’un ton un peu trop solennel, dit : « L’Empereur ! » Je fis quelques pas en avant. « J’ai souvent entendu parler de vous, me dit l’Empereur, par un de mes amis, Morny. — Oh ! répondis-je, c’était une nature charmante, fine et forte, et j’éprouvais pour lui une véritable affection. — Il appréciait beaucoup aussi votre personne et votre talent. « Nous échangeâmes quelques observations sur la Roquette, puis l’Impératrice me pria de répéter ce que je lui avais dit sur le droit