Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le passage de Jérémie que voici : « Dressez-vous sur les routes et cherchez la bonne voie et trouvez un reposoir pour vos âmes » (ou pour vos souffles, car le mot hébraïque naphes a le double sens du grec psyché et du latin anima). Le reposoir ou souffloir des Phéniciens, a-morgoa (avec l’a prosthétique ou l’article sémitique en tête), est devenu l’Amorgos-Psychia des Hellènes. Voilà donc un doublet gréco-sémitique bien intelligible et bien établi. Toutes les îles grecques, de Rhodes à Corfou et de Thasos à Cythère, nous en peuvent offrir de pareils : la Belle-Ile que les Hellènes nomment Kallistè portait aussi le nom phénicien de Thèra ; l’Ile de l’Écume était pour les Grecs Akhnè et pour les Phéniciens Kas-os ; les Hurlemens de la Grande Délos lui valurent des Sémites le nom de Rhèneia, et des Hellènes celui de Kéladoussa : deux par deux, ces noms inséparables s’expliquent mutuellement et se fournissent l’un à l’autre leurs marques d’origine.


II

Mais il suffit d’explorer avec soin la Méditerranée odysséenne pour découvrir qu’elle est aussi la Méditerranée des doublets gréco-phéniciens : l’Odyssée n’est qu’un tissu de doublets gréco-sémitiques ; ses descriptions sont contemporaines du temps, dont parle Thucydide, où « des Phéniciens et des Kariens occupaient la plupart des îles. » Si l’on veut un exemple typique et bref, l’île de Kirkè se nomme pour le poète odysséen Aiaiè. Or les mots grecs nèsos kirkès, que nous transcrivons en Ile de Kirkè, signifient en réalité « l’Ile de l’Épervière » : kirkè n’est en grec qu’un nom commun, le féminin de kirkos qui signifie épervier. Mais ai-aiè à son tour rentre dans une classe de noms insulaires, que les éditeurs du Corpus Inscriptionum semiticarum ont depuis longtemps signalée, et nous venons d’étudier l’un de ces vocables dans notre Ile des Faucons sarde, É-nosim. Nous savons que ce vocable est composé de deux mots sémitiques : ai, e ou i veut dire l’île ; nosim veut dire les faucons. L’Écriture nous fournit pareillement aiè comme nom hébraïque de l’épervier ou, plutôt, de l’épervière, puisque ce mot en hébreu ne s’emploie jamais qu’au féminin. Et ceci est digne de remarque : en grec, tout au contraire, le féminin régulier kirkè est inusité et c’est le masculin kirkos qui sert pour les deux genres, avec l’article masculin