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cette île aux arbres, habite la fille du pernicieux Atlas, qui sait les abîmes de toute la mer et qui, seul, possède les Hautes-Colonnes dressées entre le ciel et la terre... Dans cette île lointaine, la nymphe habite une vaste caverne ; tout autour, une forêt verdoyante a poussé, aulnes, peupliers et cyprès où nichent les oiseaux marins à la vaste envergure ; une vigne fleurie de grappes tapisse la grotte ; quatre fontaines y versent leurs ondes blanches, et des prairies de persil et de violettes réjouissent les yeux.


L’île de Kalypso est une île à la Caverne, une île aux Oiseaux, une île aux Sources, une île aux Arbres. Si nous tenons un compte rigoureux de ces multiples épithètes, l’île présente assez de particularités pour que nous la distinguions entre mille. Et cette île lointaine, comme dit le poète, ne peut se trouver qu’en une certaine région de la Méditerranée, aux extrémités du monde, dans la parenté, c’est-à-dire dans le voisinage, du Pilier du Ciel. Elle est fille d’Atlas, l’Homme aux Colonnes qui séparent le ciel et la terre. Nous apprendrons à bien connaître la juste valeur de ces filiations anthropomorphiques. Les Hellènes personnifiaient les colonnes de leurs temples : ils ont personnifié de même le Pilier Céleste, que les premiers navigateurs avaient découvert au bout du monde méditerranéen. À ce portant, à cet Atlas, ils ont donné pour fille une île toute voisine. Il suffit de découvrir le site exact du Pilier homérique : Kalypso devra se trouver à ses pieds.

Hérodote nous dit qu’Atlas est une montagne étroite et toute ronde, si haute que l’on n’en saurait voir les sommets : jamais, été comme hiver, les nuages ne la découvrent ; les indigènes l’appellent la Colonne du Ciel. Voilà bien notre Atlas-Colonne Céleste de l’Odyssée. Hérodote ajoute que cette montagne est toute voisine des Colonnes d’Hercule, dans notre détroit de Gibraltar : suivant la légende, Hercule vient soulager Atlas et prendre un instant sa place. Or voici comment les Instructions nautiques décrivent ces parages du détroit :


Pour les navires venant de la Méditerranée, les points d’atterrage du Détroit sont le morne de Gibraltar sur la côte d’Espagne, le Mont-aux-Singes sur la côte d’Afrique. Si le temps est clair, on pourra voir à une grande distance le morne de Gibraltar et le Mont-aux-Singes. Ces terres apparaissent le plus souvent comme des îles d’une reconnaissance facile par les formes qu’elles affectent. Le morne de Gibraltar présente à son sommet une arête assez étendue. Le Mont-aux-Singes présente deux sommets coniques très rapprochés... Mais les vents d’Est, qui dominent pendant les mois de juillet, août