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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/381

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de la nuit, de cet avertissement, qui m’est devenu familier, pour me transporter au temps du servage, sur lequel je me renseigne le plus que je peux. Quoi qu’on en dise, servage me paraît toujours synonyme d’esclavage. Il n’y avait guère qu’une différence : le droit de vendre le serf sans la terre fut très promptement aboli ; mais la terre pouvait en revanche être vendue ou affermée avec tous ses serfs. Ailleurs, les propriétaires d’esclaves conservèrent au contraire la faculté de les vendre arbitrairement et de rompre, selon leur bon plaisir, les liens de famille ; eux aussi étaient souvent très généreux, très humains à cela près. Qu’importe ?...

Avec le veilleur, plusieurs énormes chiens du Kurdistan, véritables bêtes féroces, enchaînées tout le jour, sont chargés de nous garder. Ils me font l’effet de bandits prisonniers dans la niche où ils dorment en attendant la nuit, l’heure des razzias et des massacres, car il n’est pas rare que le matin on voie, déposé en trophée devant leur repaire, le cadavre d’un chien moins vigoureux ou d’un pauvre chat du village, coupable de s’être égaré sur les terres qu’ils ont le devoir de défendre contre toute intrusion. Ce sont dans les ténèbres de terribles poursuites, des combats à mort.

Les autres chiens de la maison s’écartent d’eux avec respect pour ne point passer à portée de leurs crocs, plus d’un gardant la marque des blessures dont il a failli mourir.


J’ai visité l’un de ces petits hôpitaux, qui sont maintenant au nombre de quatorze, dans un district où l’on n’en comptait d’abord qu’un seul. Jusqu’au moment où furent décrétées l’autonomie et l’organisation des provinces, il n’existait pas de médecins dans les campagnes russes. Quelques vieilles femmes, quelques soldats réformés avaient le monopole de recettes parfois assez nuisibles. Depuis l’an de grâce 1864, les secours de la science se sont multipliés ; aux médecins de districts a été adjoint un corps nombreux d’auxiliaires. C’est le zemstvo qui partout organisa cette assistance médicale.

L’hôpital où nous venons d’entrer est un joli bâtiment situé à côté de la maison du médecin, celle-ci tout en brique peinte du plus beau rouge, couleur qui conviendrait assez à la maison du bourreau. Justement le jeune chirurgien qui nous reçoit passe pour très entreprenant dans ses opérations. Aussi le redoute-t-on