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un peu ; il n’hésite jamais à jouer du scalpel, et le plus souvent avec succès, ce qui n’empêche les paysans d’être inquiets et méfians. Leur médecin, disent-ils, aime trop à se servir de ses beaux instrumens.

Cependant on s’empresse en foule à la consultation quotidienne ; le feldsher préposé à la pharmacie distribue des médicamens. L’hôpital renferme, outre une petite salle d’opération, deux ou trois chambres où l’on garde les malades intransportables. Ces chambres sont toutes occupées pour le moment.

Nous causons avec une femme qui, probablement ignorante de son âge, comme presque tous les Russes de la même classe, se donne quatre-vingts ans ; elle a l’air d’en avoir soixante. Tombée d’une échelle, en travaillant, elle s’est cassé la jambe, et une nécrose de l’os a rendu l’amputation nécessaire. Vaillante et communicative, elle nous montre le moignon enveloppé de linges sanglans, en multipliant les signes de croix et en bénissant avec volubilité Dieu et le docteur. Dans un lit voisin une autre femme pleure ; elle a cru mourir ; opération plastique, celle-là. Le docteur s’est attaqué à l’horrible trachoma ; il a enlevé la muqueuse de la bouche pour en doubler les paupières. La salle des hommes renferme aussi deux malades : l’un les yeux bandés, l’autre sombre et silencieux comme une bête blessée.

Le métier du docteur n’est pas une sinécure ; il est chargé d’inspecter sur de vastes espaces un nombre considérable de dispensaires ; chacun d’eux est dirigé par un feldsher, un médecin inférieur, espèce d’officier de santé à qui quatre années d’étude ont permis d’exercer. Cette école des feldsher (ce nom tout militaire leur vient d’Allemagne) est encore un des bienfaits du zemstvo. Jadis le feldsher n’avait appris le peu qu’il savait qu’en servant comme infirmier dans les ambulances. Plus souvent encore qu’aujourd’hui, il était ivrogne. Il visite les malades et fait son rapport au docteur dans les cas graves.

Mais les inspections de l’hygiène publique sont encore très imparfaitement organisées. Les enfans meurent en grand nombre pendant l’hiver. L’intensité du froid ne permettant pas de les sortir, ils languissent plusieurs mois de suite dans une pièce de trois à cinq mètres de long sur autant de large, où logent au moins cinq ou six personnes et dont les fenêtres ne peuvent s’ouvrir. L’air ne se renouvelle qu’à l’aide du grand poêle qui