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roman puisse s’user ni qu’un romancier puisse se fatiguer. Mais on nous permettra de noter sans aucune espèce d’intentions méchantes qu’entre les diverses formes auxquelles se prête le roman, il en est pour lesquelles, après un certain temps, le public montre moins de goût. Hâtons-nous encore d’ajouter que, même dans une forme moins en vogue qu’une autre, il y a place pour des chefs-d’œuvre et que le génie individuel des conteurs est au-dessus des reviremens de la mode. Ces sûretés prises, rien ne nous empêchera plus de faire librement l’énumération des courans qui en ce dernier demi-siècle ont semblé l’emporter tour à tour dans la littérature, au chapitre des romans.

Le roman romanesque et sentimental, à la manière de George Sand et d’Octave Feuillet, est le premier qui ait eu à souffrir des tendances qui ont alors dominé. C’est contre lui que l’école réaliste a dirigé tout son effort ; il a été le pelé, le galeux, sur lequel on n’a cessé de crier haro ! Bel exemple de l’exclusivisme des écoles ! Du coup, toute une catégorie de lecteurs, les femmes et les jeunes gens, c’est-à-dire la clientèle la plus importante des romanciers, s’est trouvée privée du genre de plaisir qu’elle avait coutume d’aller chercher dans le roman. Pendant plus de vingt années, le roman d’observation a lui seul accaparé toute la place : les Goncourt, Daudet, Maupassant, M. Zola se sont uniquement souciés de nous donner une image telle quelle de la société contemporaine. Comment ils ont compris leur œuvre et comment ils y ont réussi, nous n’avons pas ici à le rechercher. Toutefois, curieux qu’ils étaient de toutes les formes de la vie, il en est une qu’ils avaient totalement oubliée : c’est la vie de l’esprit. Le roman de psychologie vint à son heure pour combler cette lacune. À côté de ces genres principaux, des espèces plus frêles trouvaient encore à vivre. De M. Halévy à Gyp et à M. Lavedan, des écrivains ingénieux paraient de fantaisie et de gaminerie le roman parisien. Et dans le temps où l’ironie s’insinuait partout, elle égaya les romans de M. Anatole France et de M. Barrès. Mais romans de mœurs ou de psychologie, de parisianisme ou d’ironie, ils avaient tous un caractère en commun : c’est qu’ils s’enfermaient dans le cercle, souvent fort étroit, de la vie contemporaine ; tous les regards se concentraient sur la seule actualité ; on n’apercevait rien au delà ; il semblait que le monde fût né d’hier. Ajoutez que le théâtre, depuis l’échec du genre historique, se bornait, lui aussi, à l’étude des types contemporains et des questions actuelles. Enfin l’histoire, à laquelle on avait dû pendant la première moitié du siècle une si prestigieuse résurrection des