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d’épisodes sensuels, surtout pour l’histoire d’un enfant. Et, en dépit de quelques trouvailles heureuses, combien ce style chargé, contourné, tourmenté est pénible et reste obscur ! Que de redites ! Quelle fatigue pour le lecteur à la recherche d’une idée qu’il ne voit pas se dégager de cet entassement de matériaux ! Ce qui manque surtout à M. Paul Adam, et qui cette fois était une nécessité même du sujet, c’est la pénétration et la subtilité psychologiques. Habile à brosser un tableau avec une sorte de fougue et d’emportement, il sait mal se débrouiller à travers les complexités de la vie morale. La lecture de cette œuvre touffue, compacte, énorme, vous laisse fourbu et déçu.

Au surplus dans un roman tel que l’Enfant d’Austerlitz la vie collective n’apparaît qu’à intervalles ; ce livre est de tous ceux que nous analysons ici celui qui se rapproche le plus de l’ancien type du roman historique : nous y suivons la série d’influences diverses qui venues de tous les coins d’une époque aboutissent à former le caractère d’un individu. Certes c’est à l’âme française que nous nous intéressons plus qu’à celle d’Orner Héricourt ; et c’est moins à ce jeune homme lui-même qu’à la société où il est engagé. Mais nous ne voyons pas clairement ce qui fait la vie en commun de cette société. La faute est ici non pas à l’auteur mais aussi à l’époque où se place son récit pendant les premières années de la Restauration. En effet c’est dans les heures critiques que se manifeste l’âme collective. En dehors des momens de convulsion et de bouleversement, le lien social est peu apparent ; même il arrive qu’il se relâche, que nous perdions conscience de ce qui nous unit et que chacun de nous retourne aux suggestions de son individualisme. Mais que la menace d’un danger se lève à l’horizon, alors la communauté des intérêts refait celle des sentimens. Les raisons que nous avons de nous rapprocher et qui viennent du plus profond de nous-mêmes, du plus lointain de notre histoire, prévalent sur les malentendus passagers et superficiels. Les âmes recommencent de communier. C’est ce qu’ont bien compris MM. Paul et Victor Margueritte. Quand la frontière est envahie, quand chaque jour se marque par un progrès de l’armée ennemie, quand la question est de savoir ce que sera la destinée d’un peuple entier, il est clair que tout s’efface de ce qui faisait la vie de chacun de nous distincte de celle de ses voisins ; toutes les différences se perdent, tout se mêle et tout se noie dans l’angoisse générale. Mêmes émotions, mêmes craintes, tous les regards fixés sur les mêmes points, toutes les curiosités haletantes dans l’attente de la réponse aux mêmes questions ; de tout cela une seule âme se dégage. La nation tout entière