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mince ! Une sorte de gruppetto, ou plutôt de brisé, quelque chose qu’on ne saurait mieux comparer qu’à un accent circonflexe sonore. Dans Pelléas et Mélisande, il ne saurait y avoir de leitmotive, par la bonne raison qu’il n’y a pas de motifs du tout, et l’auteur estime évidemment que la succession des notes ne saurait être un élément d’expression et de beauté.

Le rythme ne lui paraît pas moins haïssable. Le rythme, à son avis, est, comme la mélodie, une formule usée, l’une des vieilles entraves dont la musique est appelée à s’affranchir. Il me souvient que naguère, alors que nous étions condisciples au Conservatoire. M. Debussy, quand il jouait du piano, marquait en soufflant avec violence les temps forts de chaque mesure. On le raillait un peu de cette habitude ou de cette manie. Il s’en est bien corrigé. De sa mesure aujourd’hui tous les temps sont faibles, si même elle se divise encore par temps. En son art deux fois amorphe, l’abolition du rythme répond à la suppression de la mélodie. Aussi bien il ne manquera pas de bons musiciens pour s’en réjouir. Un de nos confrères, et non des moindres, a écrit naguère que « l’émiettement des figures rythmiques semble avoir pour cause le progrès même de l’expression musicale. » Et il ajoutait ceci : « Faut-il le regretter ? Je ne le pense pas. Je considère le rythme, dont toutes les parties sont fortement marquées (mesures, membres de phrase, périodes, strophes, etc.) comme l’œuvre d’une intelligence artistique encore rudimentaire, qui, trop faible pour saisir les choses dans leur continuité et leur plénitude, les réduit à des proportions moyennes, les morcelle pour les mieux comprendre, en répète certaines parties pour que la mémoire ait plus de prise sur elles, en un mot, introduit, dans le langage qui les exprime, des rapports artificiels… L’Intelligence suprême ne pense pas le monde sous forme rythmique, puisque le temps n’existe pas pour elle et que le rythme est la division du temps[1]. »

Cela est fort bien, mais nous ne sommes pas l’Intelligence suprême, et la musique n’existant pour ainsi dire pas, — à notre égard du moins, — dans l’espace, mais dans le temps seul ou presque seul, le jour où nous l’aurons affranchie du rythme, elle cessera de nous être perceptible, autrement dit d’exister. Si, par impossible, ce jour devait arriver jamais, des musiciens tels que M. Debussy n’y auraient pas médiocrement contribué.

Pas plus que par la mélodie et par le rythme, la musique de Pelléas

  1. M. J. Combarieu, Théorie du rythme (avant-propos). Paris. Alphonse Picard, 1897.