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des Boers à cette injonction le prétexte d’une guerre dont nous sommes les seuls véritables auteurs. Je n’estime pas aimable, non plus, le caractère national qui se traduit par une ovation populaire à un chef de flibustiers, par des honneurs universitaires accordés à un conspirateur de profession, ni par les bruyans applaudissemens avec lesquels un public d’étudians et de professeurs a salué les moqueries d’un homme d’Etat sur « l’onctueuse droiture » de ceux qui désapprouvaient ses projets d’agression. Si, parce que je blâme tout cela et bien d’autres manifestations non moins répugnantes du même état d’esprit, je mérite d’être appelé un mauvais patriote, eh bien ! je serai content d’être ainsi appelé.


On peut dire, d’ailleurs, qu’au fond de tous les chapitres se retrouve une même idée, formant comme un thème continu sous la diversité des sujets : c’est l’idée de ce que M. Spencer appelle la « re-barbarisation » de la société moderne. Qu’il nous parle d’un problème d’art ou de sociologie, ou d’hygiène, ou de politique, il conclut toujours que les hommes de son temps se dépravent, dégénèrent, retournent rapidement à la sauvagerie primitive, ou plutôt vont à un état de sauvagerie nouvelle, plus dangereuse encore et plus répugnante. Notre civilisation, pour lui, est en train de nous conduire tout droit à l’abrutissement. Comme les barbares du moyen âge, nous recherchons en toutes choses la laideur et la grossièreté. Après que des siècles ont servi à développer en nous le sens de la symétrie et de l’harmonie, nous en arrivons à acheter des meubles où, à dessein, on évite toute proportion entre les parties ; nous exigeons des imprimeurs une disposition typographique des caractères « intentionnellement déformée. » Nous perdons la notion du style qui est, elle aussi, le résultat d’une longue et précieuse évolution. Au-dessus de toutes les autres qualités, nous apprécions la force ; et l’Angleterre assiste à la résurrection triomphante de « sports des temps passés, que la loi avait dû interdire en raison de leur bestialité. » Les combats de coqs non seulement reviennent en vogue, mais ont même à Londres un organe spécial, tout consacré à leur glorification. De même la boxe, et la « savate, » pour ne rien dire des paris qui, du haut en bas de la société anglaise, deviennent de Jour en jour la préoccupation dominante. Un bon athlète est plus honoré, dans les Universités, que le savant le plus érudit. L’Université de Londres a choisi, pour la représenter au Parlement, celui des candidats qui jouait le mieux au cricket. « Et en tout lieu et de toute manière nous avons vu se produire, depuis cinquante ans, une recrudescence des idées barbares d’ambition, de violence, et de brutalité. »