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toute sa sincérité, le mal ne fera pas de progrès bien sensibles. C’est bien d’ailleurs le sentiment du gouvernement austro—hongrois.

Pour se rassurer davantage encore, le comte Goluchowski prend la peine de définir à leur commun usage la conduite qui s’impose aux deux puissances. Elle doit surtout être faite d’abstinence. Il y a une politique qu’on a appelée autrefois la « politique de prestige, » et qu’il faut sévèrement condamner. Elle consistait, de la part de l’une des puissances, sinon même des deux, à s’immiscer dans les affaires intérieures et extérieures des petits États balkaniques pour y faire régner leur influence exclusive. La Russie avait un client, l’Autriche en avait un autre, et la Russie aussi bien que l’Autriche attachaient leur prestige aux succès qu’elles pouvaient leur assurer. Cette politique a été néfaste ; elle le serait encore plus aujourd’hui. Les deux puissances ne doivent rien faire qui « soit de nature à ébranler la balance de leur position égale en Orient. » Tout serait perdu si elles cherchaient à s’assurer des sphères d’influence distinctes et opposées. Tels étaient les erremens du passé ; la sagesse est d’y renoncer pour toujours. Enfin, il y a la Turquie dont on ne peut pas faire abstraction. Le comte Goluchowski voit en elle, un peu d’ailleurs comme en toutes choses, un motif de craindre et d’espérer. Il s’en tire en lui donnant des conseils excellens, mais difficiles à suivre. On a tout dit sur les défauts de l’administration ottomane ; peut-être même y a-t-il là des vices incurables. Ils augmentent les difficultés de la situation dans les Balkans en donnant un prétexte à l’opposition révolutionnaire : il faut donc que la Porte fasse des réformes, ces réformes toujours promises et toujours ajournées. Mais il y aurait quelque excès de confiance à y trop compter. Aussi le ministre autrichien n’hésite-t-il pas à conseiller à la Porte de prendre des mesures militaires, d’autant plus conformes, dit-il, à son intérêt qu’elle « ne peut pas compter sur l’appui réel et stable des puissances amies. » Elle doit se suffire à elle-même. Toutefois, — et ici le dosage exact devient délicat à déterminer, — « la Turquie ne peut garder l’intégrité de son territoire qu’à la condition que les organes turcs ne dépassent pas, dans le cas de répressions, les mesures indispensables au maintien de l’ordre. » Ne quid nimis : rien de trop, et pourtant tout le nécessaire. Il faut toutes ces conditions si l’on veut conserver la paix dans les Balkans : accord intime et désuitéressement absolu de l’Autriche et de la Russie ; renonciation à la politique de prestige et aux sphères d’influence ; enfin, de la part de la Porte, des réformes, cela va sans dire, et, si elles ne réussissent pas, une politique de répression si adroitement