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Il ne serait pas nécessaire d’avoir recours aux témoignages pour détruire cette invention impertinente d’un procédé que l’Empereur n’a jamais eu envers personne. Mais Mérimée l’a démenti lui-même. Voici tout ce qu’il écrit à son ami Panizzi : « Il y a eu entre l’Empereur et M. de Bismarck une grande conversation, mais dont ni l’un ni l’autre ne m’ont rien dit. Mon impression a été qu’il avait été poliment, mais assez froidement reçu. Il m’a paru un homme comme il faut, plus spirituel qu’il n’appartient à un Allemand, quelque chose comme un Humboldt diplomatique[1]. »

On ne se risque pas beaucoup en supposant que, dans leurs conversations, l’Empereur et son hôte se sont entretenus des Duchés, de l’Autriche, de la Confédération, de l’Italie et de Venise ; qu’ils se sont répété les assurances si souvent échangées par leurs agens : Bismarck, sur son désir de s’entendre avec la France et de donner, s’il le pouvait, satisfaction à son principe des nationalités ; Napoléon III, sur ses sympathies pour la Prusse, et sa résolution de lui laisser prendre les Duchés, sans exiger aucune compensation territoriale.

Mais, sur le mystère que Bismarck est venu éclaircir, que se sont-ils dit ? L’Empereur m’a raconté que ni d’un côté ni de l’autre il n’y eut engagement, promesse ou quoi que ce soit qui s’en rapprochât, pas même d’explication : « Il parla beaucoup, m’a-t-il dit, mais en des termes généraux et vagues ; je n’ai pu démêler au juste ce qu’il voulait, et il ne me fit aucune proposition formelle. De mon côté, je ne lui exprimai aucun désir personnel quelconque. » L’Empereur a répété la même affirmation à Duruy et à Randon[2]. . Bismarck a confirmé la version de l’Empereur dans une conversation avec Persigny, lors de l’Exposition de 1867. Il lui dit : « Je me sentais capable des plus audacieuses résolutions, et j’étais désireux de m’entendre sur toutes choses avec l’Empereur. Mais l’attitude de ce prince avait paralysé mes dispositions et

  1. Lettres à Panizzi, 13 octobre 1865.
  2. Notes et Souvenirs, t. II. p. 120. « Un jour, le prince me permit de lui demander si, à Biarritz, Bismarck lui avait fait véritablement cette ouverture (sur la Belgique). Il me répondit que « le comte s’était tenu dans les termes vagues d’une conversation d’où il n’y a rien à tirer. » — Le maréchal Randon, un autre ministre, dit de même : « Ni l’Empereur, ni le comte n’avaient voulu s’engager à fond, et le ministre du roi Guillaume était reparti, n’ayant rien promis et n’ayant rien obtenu. » (Mémoires, t. II. p. 129.)