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L’historien fidèle du Duc et de la Duchesse de Bourgogne ne saurait suivre cet exemple. Force lui est d’entamer ce récit devant lequel recule Saint-Simon. Une étude attentive des faits montrera, nous le croyons, que notre atrabilaire auteur en a quelque peu grossi l’horreur, que l’enfer ne fut pour rien dans les malheurs du Duc de Bourgogne, mais plutôt ses propres fautes, à la vérité habilement exploitées par des ennemis secrets. Cette étude montrera également que, si la campagne de 1708 fait peu d’honneur à son génie militaire, en revanche elle fait moins tort à son caractère, et qu’il sut, au milieu des revers, déployer une certaine grandeur morale. Enfin, s’il nous faut abaisser le mari, nous aurons la consolation de relever la femme. Nous la verrons, abjurant sa frivolité, faire vaillamment tête à l’orage, et se comporter en épouse non seulement fidèle, mais fière et habile. En montrant ce que pouvait et promettait leur union, nous préparerons et augmenterons peut-être les regrets que laissera le récit de leur fin prématurée.


I

Pendant cinq années, de 1703 à 1708, le Duc de Bourgogne fut tenu à l’écart des armées. Pourquoi ? Cela est assez difficile à dire. Louis XIV ne pouvait éprouver, vis-à-vis d’un petit-fils dont il connaissait la docilité, le sentiment de méfiance dont l’accuse Saint-Simon, et qui lui avait fait, par exemple, après des débuts militaires brillans, laisser dans l’inaction le prince de Conti, le neveu du grand Condé. Peut-être lui en voulait-il en secret de son retour un peu précipité après la prise de Brisach[1]. Peut-être aussi avait-il, non sans sagacité, discerné chez son héritier présomptif plus d’application au métier que de génie militaire, et ne voulait-il pas compromettre la bonne renommée que lui avaient value ses deux campagnes en Hollande et en Alsace. À ce point de vue, il lui aurait rendu service, car la présence du Duc de Bourgogne n’aurait probablement empêché ni Hochstædt, ni Ramillies. Dans les premiers temps, cette inactivité semble avoir été supportée par lui avec peine. « Vous sçavez apparemment assez régulièrement les nouvelles des armées, écrivait-il le 9 juin 1704 à son frère Philippe V. Tout paroit dans

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1901.