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une bonne disposition ; il n’y a que moi qui voudrois que cette situation fût telle que j’y pusse servir, et qui épie les occasions favorables, » et, dans une lettre de l’année suivante (6 février 1705) : « Ce qui me fait beaucoup de peine, c’est que je ne vois pas les occasions favorables pour y prendre moi-même (à la guerre) une part de plus près que celle qu’on y prend d’icy, mais il faut agir avec prudence et vivre d’espérance, me reposant sur la sagesse du Roy et le désir qu’il a de me faire instruire et de contribuer à m’acquérir quelque réputation, ce qui ne se peut faire que par les faits[1]. » Puis, avec cette soumission à la volonté du Roi, interprète à ses yeux de la volonté de Dieu, qui était chez lui une des formes de la piété, il parait avoir renoncé même à cette espérance, et ses lettres à Philippe V ne sont plus remplies que de nouvelles de guerre ou de chasse, sans aucun retour sur lui-même. Ces années des grands revers de la France sont celles où il se confine de plus en plus dans la dévotion, s’abstenant de tous plaisirs, s’enfermant dans son cabinet, ou montrant à la Cour un front sévère. Ce sont, au contraire, pour la Duchesse de Bourgogne, celles des intrigues, puis de la rupture avec Nangis et Maulevrier, des imprudences avec Polignac, celles aussi où elle se livre avec d’autant moins de retenue à son goût pour le plaisir qu’elle sait par là ne point déplaire au Roi, qui croirait s’avouer vaincu s’il mettait un terme aux amusemens de la Cour.

Monseigneur, en beau-père complaisant, s’associe aux divertissemens de sa belle-fille. Après un souper à Meudon, il la mène à l’Opéra, tandis que le Duc de Bourgogne, par scrupule, rentre se coucher à Versailles. Souvent aussi Dangeau nous dit que la Duchesse de Bourgogne, ayant veillé tard, a passé la journée au lit, et ne s’est levée qu’à six heures. Pendant ces longues heures de solitude, le Duc de Bourgogne, enfermé dans son cabinet, ne se mêlant point au mouvement de la Cour, étudie la physique ou l’astronomie, au grand désespoir de Saint-Simon. Entre les deux époux le contraste apparaît de plus en plus grand, mais la Cour ne se partage guère, et, sauf le petit troupeau d’amis demeurés fidèles à Fénelon, tous les familiers de Versailles préfèrent la princesse coquette, légère, mais avenante, au prince austère et renfrogné.

  1. Archives d’Alcala. Lettres du Duc de Bourgogne à Philippe V, communiquées par le R. P. Baudrillart.