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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

À nous en tenir donc aux noms de lieu, il semble que notre île de Corfou puisse bien tout à la fois être la Kerkyra des Hellènes et la Schérie du poète homérique. La topographie de l’île et toutes les descriptions du texte odysséen vont nous conduire à la même identification. Représentez-vous, en effet, d’après les vers odysséens, ce que doit être exactement ce pays de Phéacie. La première vue de côtes qu’aperçoit Ulysse, avant la tempête, est faite de hautes montagnes ombreuses qui se dressent dans le lointain. Puis la tempête jette Ulysse contre la côte même de l’île ; alors, ce sont des falaises de roches sur lesquelles le flot lance des nuées d’écume avec un terrible rugissement. Ni port, ni refuge. Partout des promontoires projetés, des écueils, des roches, et encore des écueils pointus autour desquels gronde le flot ; par derrière, se dresse une falaise nue contre laquelle la houle va précipiter le naufragé. Une grande vague jette Ulysse sur un promontoire rocheux. Il n’a que le temps au passage de se cramponner à l’un des écueils qui bordent la côte. Il évite ainsi d’être broyé contre la falaise. Mais, au retour, la vague le reprend et le ramène à la haute mer. Alors il nage parallèlement à la terre. Les yeux tournés vers le rivage, il cherche une plage unie et un port. La mer est sans fond : impossible de prendre pied.

Enfin il aperçoit les bouches d’un fleuve d’eau courante ; il s’en approche : l’endroit est excellent pour prendre terre. Sur cette plage de sables, dans cette anse protégée du vent, le fleuve, sans profondeur, arrête son courant pour recevoir Ulysse. Mais l’endroit est désert, et le vallon, humide et fiévreux. Les pentes voisines, couvertes d’arbres et de broussailles, offrent pour la nuit un meilleur refuge. Ulysse monte à la forêt et s’enfouit dans les feuilles sèches.

C’est là que Nausikaa va retrouver le héros. La ville des Phéaciens est assez loin d’ici. Quand Nausikaa viendra laver son linge à la bouche du fleuve, elle prendra une voiture pour faire le voyage et des provisions pour rester tout le jour. Partie de grand matin, elle ne rentrera que le soir. Sur la route, elle traversera d’abord les jardins du faubourg et le bois sacré d’Athèna, qui sont tout proches de la ville, puis les champs et la plaine cultivée, qui mènent jusqu’au fleuve. La ville est au bord de la mer, pourtant : entre deux ports au goulet étroit, elle dresse sa haute colline que ceint un rempart. Au pied de l’acropole, entre