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destinées bien diverses. L’un est applaudi par les proches, par la gens, conservé comme effigie par la génération qui suit immédiatement celle du modèle. Le portrait esthétique est admiré par les artistes de tous les pays qui passent au Salon, et procure à cette légion d’obscurs et fervens admirateurs de beauté qui n’ont jamais vu la femme représentée, les mêmes joies d’art que les vieux cadres du Mauritshuis ou des Uffizi. A la vérité, il éprouve le feu des critiques amicales, et les enfans ne le considèrent pas comme une valable pièce d’identité. Mais, dès la seconde génération, le portrait reproduisant une figure que l’on n’a pas connue, ne sera plus considéré que pour sa beauté. Si à la minutie d’un procès-verbal, le biographe a sacrifié la liberté de la touche, l’ampleur de l’expression, tout ce qui constitue la vie, le portrait ressemblant, dont nul ne peut vérifier la ressemblance, commencera, vers les étages supérieurs de la maison, une lugubre ascension qui ne s’arrêtera qu’au plus haut. Le portrait esthétique gardera sa place d’honneur. De par la vie qui y fut attachée, la figure vivra dans l’imagination des hommes. Elle ravira de son sourire des générations qui n’ont pas entendu sa parole. Elle éclairera de son regard des yeux qui n’en ont pas vu le rayon. Elle fera plus encore : elle portera le message de la beauté, d’année en année et de génération en génération, à la foule sans cesse renouvelée des pauvres rêveurs qui l’attendent. Un portrait ressemblant est une joie pour quelques-uns et pour quelque temps. A thing of beauty is a joy for ever.


ROBERT DE LA SIZERANNE.