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Quid leges sine moribus ? — et que le perfectionnement de la société politique ou civile n’est qu’une conséquence ou une résultante du progrès de chacun de nous vers la lumière et dans la morale. Mais les encyclopédistes, eux, sont venus enseigner que « les vices d’un peuple sont toujours cachés au fond de sa législation ; » et que c’est donc là qu’ « il faut fouiller pour arracher la racine productrice de ces vices ; et c’est comme s’ils eussent dit que la question morale, par un renversement du « pour au contre, » est devenue désormais une question sociale. Entendez que désormais ce n’est plus de lui-même, principalement et essentiellement, ce n’est plus de la surveillance qu’il exerce sur ses instincts et sur ses passions, de la contrainte qu’il s’impose, et de son effort vers le mieux que dépend la malice ou la bonté de chacun de nous, c’est de l’institution sociale. Changeons les lois, nous changerons les hommes ! Nos crimes ou nos vices ne nous sont pas imputables, mais à la « législation ; » et en effet n’est-il pas vrai que le vol serait inconnu si la propriété n’existait pas ? Il n’y aurait pas non plus d’adultère s’il n’y avait pas de mariage ; et quel plus sûr moyen d’empocher ou de prévenir le premier, que de supprimer le second ? Ou encore et plus généralement, toutes nos fautes étant celles de l’institution sociale, tous nos défauts aussi, ce n’est donc plus nous, nos mœurs ni nos cœurs, qu’il est désormais question de réformer, mais le « gouvernement, » toute espèce de gouvernement ; et ainsi se trouve introduite la pire erreur que peut-être on ait jamais commise en matière de philosophie sociale, puisque le terme nécessaire en est l’autonomie de l’individu, ou moins pompeusement, et en meilleur français, mais surtout plus clair, son entière irresponsabilité.

Quelle est cependant la source de l’erreur ? Auguste Comte nous l’a également indiqué, et tout le mal est venu du subjectivisme. Le « subjectivisme, » on le sait, n’est autre chose que le nom savant, ou pédantesque, mais commode après tout, de ce qu’on appelait autrefois l’excès ou l’exagération du sens propre et individuel. De le définir avec une entière exactitude, il n’y faut pas songer, puisqu’il peut y en avoir tout autant de formes, d’espèces ou de variétés, qu’il y a d’individus qui se piquent de penser par eux-mêmes, c’est-à-dire « de ne recevoir aucune chose pour vraie qu’ils ne la connaissent évidemment être telle : » on ne pourrait qu’essayer d’en raconter l’histoire,