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ne saurait y avoir ni recours, ni appel. Mais, au contraire, pour Auguste Comte, un fait n’est un fait qu’à la condition de l’être pour tout le monde, ce qui est la définition même de l’objectivité, et qu’autant qu’il est engagé dans un système de dépendances mutuelles, ce qui en est la démonstration. Voici, à cet égard, une citation caractéristique : « Si l’on considère l’ensemble des organismes possibles, soit effectifs, soit même fictifs, on reconnaît aisément que, quoique le monde ne doive pas sans doute être entièrement identique pour tous les animaux, les connaissances réelles propres aux diverses races ont cependant un fond commun qui est seulement plus ou moins apprécié par des entendemens plus ou moins parfaits, mais radicalement homogènes. Cette conformité nécessaire est indispensable pour la partie expérimentale de chaque notion, puisque nos impressions personnelles n’y servent surtout que d’intermédiaires indispensables à la manifestation des rapports externes, et elle est assurément encore plus évidente pour la partie purement rationnelle, puisque les diverses intelligences ne sauraient aucunement différer quant à la nature élémentaire des déductions ou des combinaisons, malgré leur aptitude très inégale à les former ou à les prolonger. » Et il ajoute : « On ne pourrait méconnaître cette universalité fondamentale des lois intellectuelles sans être pareillement conduit à nier aussi celle de toutes les autres lois biologiques. »

Comme conséquence, — prenons donc les faits tels qu’ils nous sont donnés, dans leur enchaînement ou dans leur dépendance mutuelle, et sans nous inquiéter plus qu’il ne le faut des relations qu’ils ont avec nos facultés de connaître. Le monde est-il ou n’est-il pas ce qu’il nous paraît ? Aucune recherche n’est plus oiseuse ! Pour de fort bonnes raisons, il y a tout lieu de croire que ni nos sens ni notre raison ne nous trompent. Mais, supposé que le monde en soi, dans son essence ou dans son fond, fût autre chose que ce qu’il nous paraît, les rapports des faits qui le constituent pour nous demeureraient les mêmes. Que voulons-nous davantage ? Une « illusion » constante et perpétuelle n’est pas plus une « illusion » qu’une « hallucination vraie » n’est une « hallucination. » Si d’ailleurs nous doutions de la solidité de la science, il suffirait, pour nous rassurer, de ce fait que l’expérience vérifie tous les jours quelqu’une des inductions rationnelles de la théorie. Les exemples en sont classiques. Le