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pas s’il était convaincu que les ministres de demain feront mieux que lui. Mais si, après avoir fait encore plus mal, ils pouvaient dire : — Ce n’est pas notre faute ; c’est M. Waldeck-Rousseau qui a orienté la Chambre dans le sens où nous avons dû marcher avec elle ! — s’ils étaient en droit de tenir ce langage, l’abstention dans laquelle se serait enfermé M. Waldeck-Rousseau, après avoir donné un mouvement funeste, tournerait contre lui. Et il n’est pas assez maladroit pour en courir les chances.

Quel sera donc le prochain ministère ? Et à quel moment sera-t-il constitué ? Cette seconde question est la première à résoudre. Le ministère aurait dû être formé avant la réunion de la Chambre : en tout cas, il devra l’être immédiatement après. Il est peut-être fâcheux, à ce point de vue, que M. le Président de la République n’ait pas été à Paris ces derniers jours, et qu’il l’ait quitté de nouveau dès qu’il y a été revenu. Quand un ministère s’en va, il faut en faire un autre, et le plus tôt est le mieux. Dans les circonstances où nous sommes, tout retard est un danger.

Sans doute, M. le Président de la République, en présence d’une Chambre que personne encore ne connaît bien et qui ne se connaît pas elle-même, peut éprouver quelque embarras pour désigner l’homme politique qu’il chargera de former le futur cabinet ; mais c’est sa fonction de faire ce choix, et, s’il est partisan résolu d’une politique d’apaisement, la difficulté n’est pas aussi grande qu’elle peut le paraître au dernier abord. Le Président n’a qu’à marcher, il sera suivi. En tout cas, la pire conduite consisterait à n’en adopter aucune, à ne se résoudre à rien, et à attendre de la Chambre elle-même ce qu’on appelle une indication, qui serait inévitablement fort confuse. Jamais, de mémoire d’homme, une majorité n’est née spontanément dans une Chambre, sans l’aide et l’assistance d’un gouvernement. Une majorité se forme pour ou contre le gouvernement : dans un cas comme dans l’autre, c’est toujours grâce à lui qu’elle se dégage. S’il fait défaut, s’il se dérobe et n’est pas aussitôt remplacé, une Chambre sans tête présente un phénomène assez semblable à celui qui s’est produit autrefois, dit-on, au pied de la tour de Babel. Nous avons vu, même en présence d’un gouvernement, un grand désordre éclater quelquefois ; mais ce ne serait rien, comparé à celui qui serait à craindre s’il n’y avait pas de gouvernement du tout. La plus lamentable de toutes les décompositions est celle d’une assemblée parlementaire dont les morceaux s’en vont et tombent chacun de son côté. Un cas de ce genre a pu être observé au Palais-Bourbon, il y a un peu plus de vingt