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L’évolution sociale forme un autre point de ressemblance entre la Hongrie et la Roumanie ; elle y a subi la même loi qui préside à l’organisation primitive de toutes les sociétés de l’Europe orientale, affectant aussi les Polonais et les Russes. De fait, l’établissement des Magyars et des Roumains dans leurs plaines respectives y avait introduit une collectivité d’hommes également libres, ayant tous droit à la répartition des terres ; parmi eux surgit une aristocratie turbulente, s’employant sans cesse à limiter le pouvoir du prince, et aucune bourgeoisie nationale ne parvint à se constituer. L’écart s’accrut ainsi de plus en plus entre le paysan et le seigneur ; la subordination définitive du premier au second fut simplement la conséquence des nécessités militaires ; en échange des services de guerre rendus par le noble, le paysan fut déclaré corvéable et fixé au sol. Cette transformation commence en Hongrie, dès le XIVe siècle ; elle s’accomplit en Valachie à la fin du XVIe L’émancipation n’eut lieu qu’en 1848 chez les Hongrois, en 1864 chez les Roumains ; elle était la conséquence du mouvement libéral qui, depuis le commencement du siècle, s’était emparé des deux peuples et y marchait de pair avec le mouvement national. Ce mouvement parallèle eut l’heureuse fortune d’assurer l’indépendance ainsi que la constitution actuelle des deux pays, où le gouvernement, malgré ses formes démocratiques, continue à appartenir en fait à des aristocraties.

Pour compléter la similitude, un dernier trait achève de réunir la Hongrie et la Roumanie : c’est la crainte commune de la race slave et de la Russie, dans lesquelles toutes deux affectent de redouter la seule ennemie dangereuse de leurs nationalités et de leurs institutions libérales. Depuis le compromis de 1867, les Hongrois ont pris au sérieux leur entente avec le germanisme ; ce sont eux qui ont retenu, en 1870, les impatiences de l’Autriche et réalisé, en 1879, l’alliance austro-allemande. Les Roumains ont été moins prompts à adopter une direction semblable ; leur évolution a été progressive, et leur adhésion, désormais définitive, au système de l’Europe centrale accentuée ou ralentie selon les progrès du slavisme dans la Péninsule balkanique.

Voici donc deux États, de conditions analogues, rattachés par un égal intérêt à la politique allemande et offrant, par conséquent, leur territoire comme le chemin le plus favorable à