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constitution d’un État indépendant qui diminuerait son action dans les Balkans ; la Turquie redoutait un premier affaiblissement des traités qui protégeaient son intégrité contre les empiétemens de la Russie ; elle eût préféré les Principautés livrées à l’Autriche plutôt qu’indépendantes.

Palmerston, voulant empêcher l’intronisation du Duc de Nemours en Belgique, Napoléon III celle du fils de la reine d’Angleterre en Grèce, s’étaient adressés, non aux Belges ou aux Grecs, mais l’un au roi Louis-Philippe, l’autre à la reine Victoria, et les avaient sommés de refuser un consentement auquel était subordonné l’effet de l’élection. Ce procédé était conforme aux règles internationales. Un peuple n’est tenu, dans le choix d’un souverain, à quoi que ce soit envers qui que ce soit : ses convenances sont sa seule règle. Les chefs des grands États européens, au contraire, sont obligés de respecter la règle qu’ils se sont réciproquement imposée de ne pas troubler l’équilibre des forces ou des influences, en mettant un de leurs princes sur un des trônes d’Europe, sans avoir l’assentiment général. La Russie et la Turquie se conformèrent à ces précédens incontestés, et leurs ambassadeurs d’Oubril et Aristarchi demandèrent au roi de Prusse de défendre à un membre de sa famille de déférer aux vœux des populations moldo-valaques.

Le Roi avait à choisir entre trois partis : défendre, conseiller, permettre. Cette élection lui était agréable aussi bien par des raisons personnelles que par des raisons politiques ; il aimait beaucoup la famille et il était satisfait de ses bonnes fortunes ; mais précisément parce qu’il l’aimait, il se préoccupait des difficultés redoutables auxquelles l’un d’eux allait s’exposer en acceptant d’aller régir un peuple turbulent. Il n’était pas fâché que l’Autriche fût contenue sur le Danube par un prince de sa famille dévoué aux intérêts de la patrie prussienne, mais, s’il se souciait peu du déplaisir de la Turquie, très vivement prononcée contre cette élection, il tenait beaucoup à ne pas froisser la Russie. En outre, il répugnait à lancer les autres autant que lui-même dans des aventures quand il n’y était pas contraint.

Il ne conseilla donc pas d’accepter ; il recommanda la prudence : « Réfléchissez ; il serait mieux de ne pas préjuger les décisions de la Conférence. » Il se garde encore plus de défendre : « Après tout, si cela convient à votre famille, faites à vos risques et périls. » Or, laisser faire, quand d’un mot on peut empêcher