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S’il avait agi sans autorisation, il se trouverait en état de désertion et alors le gouvernement croirait sans doute devoir prendre des mesures très sévères à son égard. » — Goltz répondit avec un embarras visible : « Le Prince avait demandé et obtenu un congé pour se rendre auprès de son père à Dusseldorf et y attendre ce que résoudraient les Puissances ; c’est de là qu’il était parti inopinément en envoyant sa démission. La Prusse, ajoutait-il, décline toute responsabilité dans cette résolution d’un sujet prussien qui a agi spontanément et n’a pris conseil que de lui-même. »

Rien de mieux, si le Prince avait été un simple sujet prussien ; mais, Goltz ne l’avait pas nié, il avait des liens avec la famille royale. A cet égard, comme une réponse, même captieuse, était impossible, Goltz éluda : « Il ne m’appartient pas, dit-il, de discuter ici les conséquences de la résolution du prince de Hohenzollern en ce qui touche la position de Son Altesse en Prusse et ses rapports vis-à-vis du Roi. »

Affaire du Roi, non de l’Etat : ainsi argumentaient ceux qui, n’ayant pas l’improbité de nier contre l’évidence l’immixtion du chef de la famille Hohenzollern, voulaient dégager, le gouvernement prussien de toute solidarité et le préserver des censures de l’Angleterre et des déplaisirs de la Russie. Cet argument pouvait avoir quelque apparence dans une monarchie parlementaire où le pouvoir ministériel est distinct du pouvoir royal. Dans une monarchie personnelle de droit divin, telle que celle du roi Guillaume, il n’avait aucune valeur : car, dans un tel gouvernement, tout ce qui lie le roi engage l’Etat ; aucune distinction ne peut être établie entre le roi et l’Etat. Qui donc l’a dit ? Bismarck lui-même., il y a quelques jours, dans l’affaire du Lauenbourg. Notez bien soigneusement, je vous prie, dans votre mémoire, ces paroles que je vous rappellerai plus tard : « Le vice de cette prétention est de séparer le roi de l’Etat. Séparation impossible en Prusse de toute façon, en droit, en fait, et politiquement.[1] » Et l’argument tiré de cette réponse de Bismarck était d’autant plus péremptoire que le droit du roi de Prusse n’était pas un droit dérivé de la nature comme celui du prince Antoine, mais un droit tout politique, que ne lui eût pas conféré la parenté, s’il n’avait été roi de Prusse, et qui, avant

  1. Discours du 3 février 1866.