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manque d’égards. Bellerive, dans le récit de la campagne, si ouvertement favorable à Vendôme, dont nous avons parlé, est obligé de le reconnaître : « Rien n’étoit plus charmant, dit-il, que de voir les déférences que le Duc de Bourgogne eut d’abord pour le duc de Vendôme. Etant un jour à table, le généralissime (c’est le titre que Bellerive, non sans un pou d’ironie, donne au Duc de Bourgogne) lui adressa ces paroles, le verre à la main, dont il jeta l’eau, et dit au duc de Vendôme : « Allons, Monsieur, il faut boire au succès de notre campagne. Je veux que vous trinquiez avec moi. » Le duc de Vendôme se leva respectueusement, baissa son verre jusqu’au pied de celui du Duc de Bourgogne, qui lui dit : « Je ne veux point de cérémonie avec vous, que nous regardons tous comme le père et le guide de l’armée[1]. » Dans la correspondance des deux chefs, nous trouvons la confirmation de ces sentimens. Si le Duc de Bourgogne écrivait à Chamillart : « Vous sçavez que M. de Vendôme veut estre ménagé et qu’en le prenant doucement, on lui fait changer les choses sur lesquelles il est le plus opiniâtre, » Vendôme, de son côté, écrivait à la même date au même Chamillart : « Je vois une intelligence et une douceur dans M. le Duc de Bourgogne que je crois à l’épreuve de tout ; s’il en arrivoit autrement, je n’oublierois pas les ordres que vous m’avés donnés[2]. »

Au début, tout semblait donc devoir marcher pour le mieux. Dans les derniers jours de mai, l’armée s’était mise en marche par la route qui va de Mons à Bruxelles, et elle venait camper à Braine-l’Alleud, adossée à la forêt de Soignes. L’armée ennemie était campée à peu de distance de là, entre Bruxelles, où Marlborough avait son quartier général, et Anderlacht. Quatre lieues de terrain seulement les séparaient ; aussi tout le monde, à Versailles, s’attendait-il à quelque affaire décisive, et il est certain que, si l’une ou l’autre des armées avait fait un mouvement en avant, elles se seraient rencontrées aux environs de ce plateau du Mont Saint-Jean et de Waterloo, qui devait, un siècle plus tard, être témoin d’une lutte si tragique. Mais Marlborough n’avait garde de commettre cette faute. Il se savait pour le moment intérieur en nombre, ses troupes n’étant pas complètement rassemblées, et on ne peut que déplorer le temps alors perdu par l’armée

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, Appendice, p. 526.
  2. Dépôt de la Guerre, 2080, 22 mai 1708. Le Duc de Bourgogne à Chamillart. Vendôme au même.