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II

On comprend la joie de la Cour, car, en apparence, le succès était grand. Deux des places les plus importantes de la Flandre étaient tombées, presque sans coup férir, dans les mains de l’armée française, et rentraient ainsi sous la domination de leur souverain légitime, le Roi d’Espagne. Les conséquences désastreuses des campagnes précédentes se trouvaient en partie réparées. Aussi le Duc de Bourgogne était-il en droit de se réjouir de la part au moins indirecte qu’il avait prise à ce succès. « Je vous avois bien dit, mon très cher frère, écrivait-il à Philippe V le 6 juillet, que je ferois ce que je pourrois pour remettre sous votre obéissance une partie du pays que les ennemis vous avoient enlevé il y a deux ans, et Gand, dont vous êtes maistre depuis hier, en est une des meilleures preuves. Marlborough a été attrapé pour cette fois. Ce m’est une chose bien douce d’avoir pu, par les effets, vous témoigner l’extrême amitié que j’ai pour vous. Faites, je vous prie, bien des complimens à la Reine. J’espère qu’elle sera contente de moi[1]. »

Marlborough était attrapé en effet. Il en était même tombé malade : « La trahison de Garni, des marches continuelles, et certaines lettres que j’ai reçues d’Angleterre, écrivait-il à Godolpbin, m’ont tellement vexé que j’avais bien une grande fièvre, et le médecin voulait me renvoyer à Bruxelles, mais, grâce à Dieu, je suis mieux à présent[2]. » Il n’en demeurait pas moins fort anxieux, craignant d’autres trahisons de la part des villes flamandes, où les Hollandais n’avaient su que se faire haïr. Mais, à ce moment même, il allait trouver un puissant réconfort dans l’arrivée du Prince Eugène. Répondant aux appels pressans de Marlborough, celui-ci, quittant les bords de la Moselle, avait mis son armée en marche dans la direction de Bruxelles, côtoyé de près et suivi parallèlement par Berwick, qui se dirigeait vers Mons. Mais, comme il trouvait que ses troupes marchaient lentement, il se détacha de sa personne et, accompagné seulement de quelques cavaliers, arriva le 6 juillet à Bruxelles, où il put conférer avec Marlborough. L’entrevue entre les deux grands capitaines dut être émouvante. « Je suis malade de corps et d’esprit,

  1. Archives d’Alcala. Lettre du 6 juillet, communiquée par le P. Baudrillart.
  2. Coxe. t. II, p. 467.