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le major général Cadogan, à la tête de seize bataillons d’infanterie et de huit escadrons de dragons, partait à la pointe du jour, (at dawn) disent les documens anglais[1]. Il franchissait l’Escaut en passant par la ville d’Oudenarde, et, arrivé sur la rive opposée, jetait immédiatement deux ponts par lesquels l’armée commença dès dix heures et demie du matin à effectuer son passage. À midi, la plus grande partie des troupes anglo-hollandaises se trouvait déjà de l’autre côté du fleuve.

Il n’en était pas de même du côté français, où les ponts n’avaient pas été préparés à l’avance. Quatre heures furent perdues à les établir, et quand Biron, qui commandait l’avant-garde, eut passé tranquillement (at teisure, disent encore les documens anglais), il fut tout étonné de se trouver en présence de forces considérables, qu’il ne s’attendait nullement à rencontrer. Coup sur coup, il envoya trois aides de camp à Vendôme pour l’en prévenir. Celui-ci, qui, la veille, de son propre aveu, ne s’était levé qu’à dix heures du matin (il donnait comme excuse qu’il avait été trente heures à cheval et qu’il avait eu la colique)[2], fut trouvé par les aides de camp de Biron ayant mis pied à terre et mangeant un morceau. Il ne voulut d’abord rien croire des nouvelles qu’on lui apportait, disant « qu’il faudroit donc que les diables les eussent portés là et que cette diligence étoit impossible[3]. » Vaincu par l’évidence, il fit parvenir cependant à Biron l’ordre d’attaquer, en lui promettant de le soutenir. En effet, il lit passer en hâte quelques-unes des meilleures troupes de l’armée, et se porta lui-même à l’aide de Biron. Un combat furieux s’engagea alors entre les deux

  1. On trouvera, dans Coxe, t. II, p. 468 et suiv., un récit détaillé de la bataille d’Oudenarde, au point de vue anglais. Il est à remarquer que le récit est très favorable au duc de Vendôme et sévère pour le Duc de Bourgogne. Sur plusieurs points, ce récit diffère des récits français, entre autres sur la question capitale de savoir à quelle heure les ponts furent jetés et les deux armées passèrent l’Escaut. Suivant Coxe, les ponts où devaient passer l’armée française avaient été préparées dès la veille. Mais cette assertion reste contredite par les documens français eux-mêmes, et il paraît constant que la lenteur apportée au passage de la rivière fut la faute initiale de la journée. « Il est certain, dit le marquis de Quincy, dans son Histoire militaire (t. VI, p. 121), que, si l’armée des deux couronnes eût passé l’Escaut six heures plus tôt, comme elle le pouvait et le devait faire, cette armée aurait été en état de rendre inutiles toutes les forces que les alliés avaient fait venir en France. » Villars dans ses Mémoires (t. III, p. 14), et Feuquières, dans ses Mémoires militaires, t. II, p. 165 et t. III, p. 88, ne sont pas moins sévères pour Vendôme, a l’inertie et à la paresse duquel ils attribuent les malheurs de la campagne.
  2. Pelet, Histoire militaire, t. VIII, p 388. Vendôme au Roi, 9 juillet 1708.
  3. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 181. Saint-Simon tient évidemment cette partie de son récit de la bouche même de Biron, qui, prisonnier sur parole, passa quelques jours après à Fontainebleau. On peut donc y ajouter foi,