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pris. Ils essuyèrent avec beaucoup de fermeté et de courage (dit le Mercure) les décharges de la mousqueterie. « Le Duc de Bourgogne eut deux de ses gens tués à ses côtés. Il n’en continua pas moins de donner des ordres avec le plus grand sang-froid et la plus grande présence d’esprit qui se puisse imaginer[1]. » Il était neuf heures du soir. La nuit mit fin au combat, mais non sans que les colonnes de l’armée anglo-hollandaise qui avaient opéré séparément eussent opéré leur jonction sur le champ de bataille, dont Marlborough et le prince Eugène demeuraient définitivement les maîtres.

Alors se passa dans l’armée française une triste scène, que Saint-Simon a rendue célèbre. Donnons d’abord son récit, sauf à le contrôler.

Vendôme et le Duc de Bourgogne, qui s’étaient trouvés séparés pendant l’action, se réunirent au milieu de leurs troupes en désordre. Ils tinrent, dans l’obscurité croissante, un conseil de guerre improvisé. Vendôme, « de fureur de s’être si cruellement mécompte, » brusquait tout le monde. Le Duc de Bourgogne voulut parler ; mais Vendôme, enivré d’autorité et de colère, lui ferma à l’instant la bouche en lui disant d’un ton impérieux, devant tout le monde, qu’il se souvînt qu’il n’étoit venu à l’armée qu’à condition de lui obéir. « Ces paroles énormes, et prononcées dans les funestes momens où on sentoit si horriblement le poids de l’obéissance rendue à sa paresse et à son opiniâtreté, et qui, par le délai de décamper, étoit cause de ce désastre, firent frémir d’indignation tout ce qui l’entendit. Le jeune prince à qui elles furent adressées y chercha une plus difficile victoire que celle qui se remportoit actuellement par les ennemis sur lui : il sentit qu’il n’y avoit point de milieu entre les dernières extrémités et l’entier silence, et fut assez maître de soi pour le garder. Vendôme se mit alors à pérorer sur le combat. Il soutint que rien n’étoit perdu, que, la moitié de l’armée n’ayant pas combattu, il fallait tourner toutes ses pensées à recommencer le lendemain matin. » Cet avis ne fut soutenu par personne, sauf par le comte d’Evreux, neveu de Vendôme et tout jeune maréchal de camp. Mais le maréchal de Matignon et les officiers généraux les plus expérimentés, entre autres Puy-ségur, soutinrent l’opinion contraire. Ceux qui arrivaient

  1. Mercure de France, supplément d’août 1708.