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Bellerive, il convient seulement que Vendôme fut violent et emporté : « Je ne rapporterai pas, dit-il, et je laisse à deviner au lecteur les expressions vives que l’ardeur de son zèle pour l’Etat lui suggéra dans les reproches dont il accabla les auteurs de ces pernicieux conseils. » A l’en croire, lorsqu’il avait rejoint le Duc de Bourgogne, qu’il avait trouvé « fort rêveur et mécontent de ce qui venoit de se passer[1], » Vendôme se seroit contenté de tâcher de dissiper son chagrin. On peut assurément laisser de côté le témoignage de ce Vendomiste passionné. Mais il est à remarquer que le récit de Saint-Simon n’est pas confirmé par Saint-Hilaire, « bon artilleur fort lourd, » qui, lui, du moins avait assisté au Conseil. Après avoir confessé ingénument dans ses Mémoires qu’il avait fait l’ouverture de combattre encore le lendemain, « peut-être un peu inconsidérément par rapport à l’état des affaires, » il ajoute « qu’il y eut là-dessus quantité de discours dont il est inutile de rapporter les paroles. » Il parle bien de l’obstination de Vendôme à soutenir « qu’il y alloit de l’honneur de la France et de la gloire de M. le Duc de Bourgogne… » des altercations sur cette affaire, qui durèrent encore un peu de temps, et de la nécessité ou l’on se trouva « d’avertir M. de Vendôme que, s’il vouloit demeurer davantage où il étoit, il se trouveroit seul dans la plaine[2]. » Mais il ne résulte pas de ce témoignage impartial que Vendôme ait été autre chose qu’obstiné et violent, et nous croyons qu’il est permis, malgré Saint-Simon et Michelet, de mettre en doute et l’insultant propos de Vendôme et l’humilité par trop chrétienne du Duc de Bourgogne.

Quoi qu’il en soit de ce détail, la retraite eut lieu dans des conditions déplorables. Aucun ordre général ne fut donné ni par Vendôme irrité, ni par le Duc de Bourgogne inexpérimenté, pour assurer dans les meilleures conditions la marche vers Gand, dont chacun prit la route comme il put. Le Duc de Bourgogne refusa cependant la chaise de poste qui lui fut offerte, et il fit sa retraite à cheval, dans la nuit. Il ne s’arrêta pas à Gand et poussa jusqu’à Lovendeghem, gros bourg situé derrière le canal de Gand à Bruges, où il arriva avec la tête des troupes. Vendôme, au contraire, s’il faut en croire Saint-Simon, un peu suspect en cette circonstance comme en beaucoup d’autres, se serait arrêté à Gand, et, « après avoir défait ses chausses et poussé sa selle tout

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI. Appendice, p. 559.
  2. Saint-Hilaire, Mémoires, édition de 1766, t. IV.