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navigable qui s’enfonçait à plus de 15 kilomètres dans l’intérieur des terres et s’est transformé peu à peu on marécage, au milieu duquel émerge tout un archipel d’îles dont les plus considérables, celles de Rue et du Crotoy, ont fini par obéir à la loi commune et se souder à la côte voisine, constituant la partie méridionale de la plaine de Marquenterre, à travers laquelle divaguent les méandres de la Maye, de la rivière de Favières et de plusieurs cours d’eau paresseux.

Dans cet ancien pays de lagunes, sans pente et sans écoulement, les eaux stagnantes de tous les fossés, de tous les plis de terrains se mêlent entre elles. L’estuaire de l’Authie se prolongeait, comme celui de la Somme, beaucoup plus en amont. Lu rivière, à peu près envasée aujourd’hui, était jadis assez bien navigable sur une vingtaine de kilomètres jusqu’à l’ancienne abbaye de Dommartin ; et les bateaux de mer ont pu longtemps mouiller à la place même où devait s’élever l’église du moyen âge, consacrée au souvenir d’une précieuse relique que la tradition dit avoir été embarquée dans le port de Jaffa et être venue échouer miraculeusement dans le golfe de la Somme. Au XIIe siècle, Rue était encore un véritable port de mer ; les vagues venaient battre le pied de ses remparts. C’est aujourd’hui une ville ouverte à 10 kilomètres du rivage, entourée de polders, de prairies, de terres cultivées. Tout à côté, le petit port de Saint-Quentin, qu’on désignait sous le nom de « grand gouffre, » a été envahi par les dunes. L’eau s’est retirée de tout le pays. La baie s’est peu à peu changée en lagune morte que le travail de l’homme a patiemment assainie, drainée, divisée en compartimens par une série de fossés, de chaussées, de renclôtures, de levadons et de petites digues insubmersibles formant un immense échiquier. La mer est devenue un champ.

Bien que très réduite aujourd’hui, la baie de Somme présente toujours une vaste échancrure triangulaire, immense plaine de sable et de vase de près de 10 000 hectares, recouverte à chaque marée par plusieurs millions de mètres cubes d’eau. Le flot y remonte quelquefois avec la même rapidité que dans la baie du Mont-Saint-Michel et peut y causer les mêmes dangers. C’est la même inondation subite ; et, lorsqu’il se retire, la Somme divague lentement dans des méandres sinueux et très variables. L’un de ces lits porte le nom de « Somme-morte, » qui peint bien l’allure paresseuse de ces eaux dormantes au milieu de bancs