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nageuses. Exquises l’une et l’autre, la dernière avec plus de mélancolie seulement, les deux scènes se répondent. Ainsi de gracieuses formes de femmes encadrent de leurs souples ébats le vaste poème ; elles lui font comme une ceinture de leurs bras humides et blancs. D’un bout à l’autre de la Tétralogie, Wagner se montre grand paysagiste Autant que des âmes, il est le musicien des choses ou des élémens : de l’eau, nous le voyons ou l’entendons ici ; du feu, rappelez-vous la fin de la Walkyrie ; de l’air, souvenez-vous de Siegfried et des Murmures de la forêt. Et dans l’air et dans les flots, il imite étonnamment par les sons les mouvemens et je dirais, si je l’osais, les exercices du corps. N’est-ce pas un des chefs-d’œuvre de la musique équestre, avec le Roi des Aulnes et la Course à l’abîme, que la Chevauchée des Walkyries ? Walkürenritt, comme dit l’allemand, par une onomatopée plus expressive, plus conforme du moins ou plus ressemblante au rythme bref et pointé de ce galop fameux. Dans l’ordre de la natation féminine, le trio des filles du Rhin, au dernier acte du Crépuscule des Dieux, n’est pas une moindre merveille. On ne sait qu’y admirer davantage : ou la vérité du sentiment, d’une tendresse qui prévoit le malheur du héros et le plaint, ou la vérité pittoresque et plastique, la grâce des attitudes, la vivacité des gestes, et jusqu’à ces voltes soudaines, ces battemens qui fouettent l’orchestre comme l’onde et l’éparpillent en gouttes sonores.

Si ce délicieux paysage est, à certains égards, une réminiscence, le récit de Siegfried n’est, tout entier, qu’un mémorial ou une répétition. Au cours du dernier acte du Crépuscule des Dieux, le destin du héros nous est deux fois raconté : par lui-même d’abord, qui va mourir ; et, quand il est mort, par l’orchestre, qui le pleure et le glorifie. De ces deux narrations, autant la seconde est grandiose et funèbre, autant la première a de jeunesse et de vie. Les thèmes de la forge, des murmures de la forêt et de l’oiseau prophète, ceux du réveil de Brunnhilde et de la scène d’amour, toutes les vertus et toutes les beautés sonores de Siegfried renaissent ici tour à tour. Redite sans doute, mais une redite merveilleuse, allégée, où seuls les élémens essentiels reparaissent, où de la gerbe d’hier ne survivent que les fleurs élues. Les plus délicates même ont gardé leur couleur et leur parfum ; ici, les moindres détails sont précieux. Il ne faut que deux accords, cachés et comme perdus dans la trame de la symphonie, pour évoquer l’apostrophe déjà lointaine du forgeron héroïque à Nothung, au glaive qui tout à l’heure ne saura pas le sauver. Avant de commencer l’histoire de sa vie, Siegfried entend encore s’échapper de l’orchestre, seul et dans le