Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivait du Crépuscule des Dieux : « Les deux premiers actes sont, malgré des parties étonnamment saisissantes, d’une longueur insupportable… Ce que Wagner, ici, nous demande dépasse tout. C’est un vrai miracle, que les magnifiques beautés du dernier acte réussissent à arracher de sa léthargie l’auditeur arrivé au comble de l’épuisement[1]. »

Le miracle, une fois encore, s’est opéré, mais sans nous ôter le souvenir ni la fatigue de l’épreuve qui l’avait précédé. Songez que le premier acte du Crépuscule des Dieux (y compris le prologue), dure deux heures sans interruption. « Je vous recommande l’ennui du second acte, » disait, en quittant la place, un de nos maîtres qui le connaît, ce second acte, et qui s’y connaît. Aussi bien, dans le petit Bayreuth qu’on voudrait, en de pareils momens, faire de notre grand Paris, il semble que la tyrannie du « monde » et de la mode ait rencontré cette fois quelque résistance. Des signes de lassitude et de découragement ont paru sur le visage et dans les discours de plusieurs, « qu’on voyait autrefois pleins d’une ardeur si noble, » et qu’on voit « l’œil morne maintenant et la tête baissée. » On surprenait pendant les entr’actes, dans les couloirs, des regrets, presque des excuses, exprimés par tel musicien qui jadis admirait Wagner « comme une brute, » à tel autre qui jadis avait gardé plus de retenue. C’est assez la coutume de dire à ceux qui commencent par se défier et se défendre : « Vous y viendrez ! » Et sans doute on vient à de certaines beautés ; il en est aussi d’où l’on revient. On peut se demander lequel, de l’aller ou du retour, est le bon mouvement. Pour que l’un et l’autre se succèdent, on sait du moins, depuis La Bruyère, qu’« il ne faut pas compter vingt années accomplies. »

À la fin de ses Lettres de Bayreuth, M. Paul Lindau concluait en ces termes : « Je ne puis m’empêcher de penser que l’avenir, auquel on en appelle toujours, sera pour Wagner un juge sage et juste. Il ne lui refusera pas la place que Wagner mérite. Il l’élèvera à ces hauteurs où siègent les plus grands artistes de notre pays ; mais il le priera de vouloir bien se défaire de son bagage d’entêtement prétentieux, de lubies obstinées, et de son ennuyeux et bavard esprit autoritaire. Et alors, — dies iræ, dies illa ! — alors viendra un joyeux arrangeur qui tranquillement prendra les quatre grosses partitions, y choisira ce qui a fait de l’effet, jettera impitoyablement ce qui a ennuyé la majorité inintelligente de notre génération, fondra brièvement ensemble les morceaux d’élite en leur conservant le plus possible leur forme originale, et en

  1. Voyez, dans le livre fort curieux de M. Paul Lindau : Richard Wagner, les chapitres intitulés : l’Anneau du Nibelung (Lettres de Bayreuth et de Berlin).