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cette fois au moins, c’est qu’ils se sont chargés tous les deux de la polyphonie. Et chacun dut avoir sa charge. Leur œuvre commune pèse lourd. Elle est conçue selon le système ou l’idéal du « tout à l’orchestre, » et à quel orchestre ! Non seulement la voix ou le chant, mais la parole même, ici, n’est plus rien. Je crois, en ayant fait l’expérience à la première audition, que, sans une lecture préalable, il est impossible de comprendre le sujet et l’action de ce drame lyrique, faute d’en entendre le moindre mot. Oui, pour le moindre mot ou plutôt contre lui, l’orchestration moderne rassemble ici toutes ses puissances et déchaîne toutes ses fureurs. Il en résulte une musique incessamment exaspérée, portée au paroxysme sans relâche. Terrible à écouter, elle n’est pas d’une lecture moins pénible. Elle déconcerte les yeux et les mains comme elle offense les oreilles. Hélas ! qu’est devenu le temps où c’était une joie de recevoir la partition d’hier ou de demain, de l’ouvrir et de la feuilleter ? Maintenant c’est une angoisse de l’attendre, un supplice de la lire. Et je ne parle pas de la comprendre, encore moins de l’aimer.

Pourtant les auteurs d’Orsola sont les auteurs aussi de lieder nombreux. Dans le nombre il en est de fort beaux, qui renferment plus de passion et d’humanité, plus de vérité et de vie que les trois actes d’Orsola. Pourquoi donc faut-il que la musique, — dès qu’elle est de théâtre, — s’enfle et se travaille ainsi, et que nos musiciens ne se contentent pas d’écrire comme un de leurs lieder, une scène, une page, une phrase au moins de leurs opéras !


Au-dessous de Louise et de la seconde partie de la Vie du Poète de M. Charpentier ; au-dessous de la Bohême de M. Puccini, on peut trouver une place pour la Troupe Jolicœur : comédie foraine et romanesque, musique sentimentale et réaliste, d’un réalisme timide et comme un peu honteux, d’un sentiment où l’on ne souhaiterait ni plus de sincérité, ni plus 1e délicatesse, mais peut-être seulement un peu plus de profondeur et d’originalité. Nulle œuvre ne s’éloigne autant que celle-là de l’excès et de l’excentricité. M. Coquard est raisonnable autant que sensible. Son art est fait de probité candide, de sérieux, de conscience et de conviction. Et tout cela, sans exciter l’enthousiasme, est digne d’estime et de sympathie.

Geneviève, une enfant trouvée et recueillie dans la neige par Mme Jolicœur, a grandi parmi les saltimbanques. Aimée, très différemment, par deux de ses camarades : Jean Taureau, l’hercule, et Loustic, le petit clown, un chétif et brave gamin, elle aime un jeune