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suffise pour empocher qu’on ne la commette. Donc instruisons le public. Il y a pour cela des moyens appropriés au but : il y a les articles de journaux, les brochures, les conférences. Un médecin pourra s’expliquer sans réserve et avec efficacité devant un auditoire venu pour s’instruire. Mais on ne va pas au théâtre comme on va à la clinique. Une assemblée composée d’hommes et de femmes et réunie dans une salle de spectacle ne peut ni supporter tous les tableaux ni entendre tous les mots. Elle est gênée, choquée, quelle que puisse être d’ailleurs l’honnêteté des intentions de l’auteur. Le technique y devient l’incongru et le saugrenu. S’imaginer qu’on peut tout dire, partout et devant tous, c’est prouver qu’on est étranger à la notion même du goût dans ce qu’elle a de plus élémentaire. La discussion devient impossible : on ne s’entend pas. D’autre part, s’il s’agit de nous inspirer l’horreur d’un mal physique, il est clair que rien ne vaudra la description de cernai faite par le spécialiste. Les descriptions médicales n’ont besoin que d’être précises : tout ce qu’on y ajouterait ne serait que vaines fioritures. L’artiste n’a pas à intervenir. Le fait est que M. Brieux a suivi pas à pas les traités où il s’est renseigné ; ils lui ont imposé la marche même de sa pièce, et l’ordre des scènes ; il en a littéralement copié des passages ; il ne pouvait faire autrement. L’impression qui nous reste est que nous aurions été bien plus profondément remués si nous avions lu le traité lui-même et si nous en avions eu sous les yeux les hideuses figures. C’est là ce qui, au point de vue de l’art, condamne le théâtre médical et d’ailleurs toute œuvre littéraire qui se met à la remorque de la science : c’est qu’elle reste inférieure au simple exposé scientifique.

Dans Petite Amie, nous retrouvons M. Brieux monté au même ton d’indignation : seulement cette fois il s’indigne contre les scandales des grandes maisons de commerce. M. Logerais est le patron d’un brillant magasin de modes. Il a fait sa fortune à force de travail, d’économie, et aussi parce que dans sa partie il est doué d’une sorte de génie. Il a un fils, André, qu’il destine à la profession d’avocat et à la carrière du mariage riche. Ce jeune homme devient l’amant d’une des ouvrières du magasin, Marguerite. Lorsqu’il découvre que Marguerite est enceinte de ses œuvres, il forme le projet de l’épouser. Son père lui refuse son consentement et lui coupe les vivres. Donc il quitte la maison paternelle, s’installe avec Marguerite dans un chalet de banlieue : contraints par la misère, les deux jeunes gens se jettent à l’eau. — Le sujet n’est pas neuf ; il a été cent fois ressassé à la scène et dans le roman ; mais peu importe : tout dépend de la façon