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la distraction avec le travail : le couple Logerais gagnait de l’argent, et aussi il s’amusait, allait au spectacle, au bal, à la campagne. Avec les années, M. Logerais est retombé à la polissonnerie : il débauche ses ouvrières : ce champion de l’ordre moral est un vicieux. Tyran domestique, il tient devant lui sa femme et son fils dans une espèce de tremblement. Il aime son fils à sa manière, qui n’est pas une manière gênante. Il s’est débarrassé de lui en le mettant au collège. Pour ce qui est de l’étudier, d’entrer avec lui dans une intimité intelligente et cordiale, il ne s’en est pas soucié et l’idée ne pouvait même lui en venir. Est-ce que les jeunes gens ne sont pas tous les mêmes ? Est-ce que les pères ne savent pas mieux que les fils où est le bonheur de ceux-ci ? André n’avait aucune espèce de goût pour le collège : on l’y a mis de force. Il serait volontiers entré dans les affaires : on lui impose une carrière libérale. Il rêvait de se marier par amour : on lui fait rompre un projet de mariage pour cause d’insuffisance de dot. Il n’est pas d’humeur à s’amuser : son père le raille de sa continence et lui fait honte de sa vertu. Après quoi, et l’ayant poussé à une aventure, il lui conseille une déloyauté. Et quand il le voit acculé à la pire détresse, il reste impitoyable : il n’a pas un élan de tendresse, pas un mouvement de pitié. Cupidité, bassesse, égoïsme, sottise et vanité, c’est en combinant ces élémens que vous obtiendrez ce produit complet, ce chef-d’œuvre du genre qu’est l’âme d’un Logerais.

Au surplus, ni sa femme, ni son fils ne valent guère mieux que lui. Mme Logerais est moins haïssable parce qu’elle a eu beaucoup à souffrir, et que les humiliations dont l’a abreuvée ce mari libertin lui valent d’être plainte. Elle est femme et elle est mère ; aussi serait-elle plus que son époux disposée à l’indulgence pour son fils. Mais ce ne sont que des nuances. Elle est, sur les points essentiels, la digne compagne de son mari : elle comprend l’existence de la même manière que lui, et fait les mêmes calculs. Pour ce qui est d’André, c’est un type de jeune bourgeois sans caractère, sans volonté, incapable de résistance, capable tout juste de soudaine et impuissante révolte, médiocre pour le bien comme pour le mal. Et il faut entendre au dernier acte ce père, cette mère, ce fils, s’injuriant, se jetant à la face leur mépris et leur haine. La voilà, la famille bourgeoise ! Mais voulez-vous en regard contempler un type de droiture, de courage et de résignation ? Voyez Marguerite. La noblesse de cœur de cette ouvrière, fille d’ouvriers, fait honte à la classe des patrons. Voilà le peuple !

Cette antithèse entre les vertus du peuple et la corruption de la