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race tout entière, pendant tout un siècle, n’aurait pas honoré comme elle l’a fait Lamartine et Victor Hugo s’il n’y avait pas eu, chez eux, quelque chose d’absolument supérieur, quelque chose qui, même quand on ne comprend pas ces poètes, suffit pour empêcher de les comparer à d’autres qu’on nous présente expressément comme d’honnêtes médiocrités ? Mais, encore une fois, c’est un point sur lequel les critiques allemands semblent incorrigibles : puissions-nous seulement ne pas les imiter, en comparant nous-mêmes nos écrivains avec des hommes d’autres pays, qui, n’ayant point écrit pour nous, ont infiniment de chances de nous rester à jamais inconnus !


L’individualisme des écrivains allemands ne va point, d’ailleurs, jusqu’à les empêcher d’être de leur temps. Peut-être subissent-ils à un degré moindre le contre-coup du mouvement littéraire qui se produit autour d’eux : ils le subissent cependant ; car M. Bartels reconnaît lui-même qu’il y a dans l’évolution des genres une marche régulière, fatale, ou tout au moins résultant d’une foule de causes diverses, contre lesquelles il n’y a point d’originalité qui puisse prévaloir. Le plus personnel des dramaturges d’aujourd’hui est encore forcé de se conformer en un certain point aux habitudes théâtrales de ses contemporains, sauf ensuite pour lui à les modifier, si son génie et les circonstances extérieures s’accordent pour le lui permettre ; jamais, en tout cas, les drames qu’il créera ne pourront ressembler à ceux d’un contemporain de Schiller ou de Grillparzer. Et ainsi l’histoire de la littérature allemande, comme celle de toutes les autres littératures, se divise naturellement en plusieurs grandes périodes, dont chacune comporte un idéal propre, une façon particulière de sentir et de s’exprimer.

Ces périodes, d’après M. Bartels, sont pour la littérature allemande au nombre de huit. La première comprend tout le moyen âge, depuis le Beowulf et les Niebelungen jusqu’à la Réforme. M. Bartels l’appelle « la période de la littérature populaire, religieuse, et chevaleresque. » La seconde embrasse le XVIe et le XVIIe siècle : c’est la période « de la littérature bourgeoise et savante ; » elle a pour principaux représentans l’auteur anonyme du Reineke Vos, Ulrich de Hutten, Luther, Hans Sachs, le poète alsacien Fischart, l’érudit Martin Opitz, qu’on a surnommé « le père de la nouvelle métrique allemande ; » puis, au XVIIe siècle, le poète tragique et satirique Gryphius et le conteur Grimmelshausen, qui, avec son histoire de Simplicssimus, a créé en Allemagne un type très caractéristique du roman picaresque, La troisième