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chose, elle voulait faire une manifestation de parti. N’aurait-il pas mieux valu attendre une autre occasion ? Mais la majorité était impatiente. Les partis étaient pressés de se compter, de savoir de quel côté se trouvaient décidément les plus nombreux et les plus forts ; et, puisque la retraite du ministère ne permettait pas de lui adresser une interpellation qui aurait pu servir de moyen, on a mis à profit l’élection du bureau provisoire. Au surplus, de nombreux précédens semblaient le conseiller. Il y a quatre ans, après les élections de 1898, la Chambre d’alors a montré tout de suite la même préoccupation que celle-ci. Les partis avaient hâte de se mesurer ; MM. Deschanel et Brisson ont été leurs champions respectifs. On sait ce qui s’est passé. M. Deschanel a été élu président, et il a été réélu tous les ans au début de chaque session ordinaire. Ce succès, quatre fois renouvelé, aurait dû, ce semble, assurer le pouvoir aux modérés : au lieu de cela, il a été donné aux radicaux. Le lendemain même de la première élection de M. Deschanel contre M. Brisson, c’est M. Brisson qui a été chargé de faire un ministère, et qui l’a fait effectivement. A M. Brisson a succédé M. Dupuy, et à M. Dupuy M. Waldeck-Rousseau, de sorte qu’on a vu se perpétuer, pendant presque toute la législature, l’anomalie d’une Chambre qui élisait constamment un président modéré et qui soutenait tout de même un ministère radical. Cela nous a rendus sceptiques sur l’importance politique de l’élection présidentielle. Nous souhaitons aux radicaux-socialistes de ne pas tirer plus d’avantages de celle de M. Bourgeois que les modérés n’en ont tiré autrefois de celle de M. Deschanel. Celui-ci, avec le talent qu’on lui connaît, pourra rendre tout autant, sinon plus de services à ses idées et à ses amis sur les bancs de la Chambre qu’au fauteuil qu’il a dû abandonner à M. Bourgeois. Nous le retrouverons à la tribune. Il est de ceux qui ont donné beaucoup, mais dont il est permis d’attendre davantage, ou autre chose : il y a quelquefois profit pour un homme politique à changer de situation et à se montrer dans un rôle nouveau.

L’inconvénient de l’élection de M. Bourgeois a été que les radicaux-socialistes ont paru avoir une majorité, et qu’ils ont dès lors exigé qu’on leur donnât le pouvoir : ils l’ont revendiqué impérieusement. Leur majorité n’était que de 36 voix ; celle de M. Waldeck-Rousseau dans la dernière Chambre avait été le plus souvent du double, — ce qui montre, entre parenthèses, que les dernières élections n’ont pas été aussi favorables aux radicaux qu’ils le disent ; — mais enfin une majorité de 36 voix est encore respectable, surtout si elle se maintient. Celle-ci se maintiendra-t-elle ? Nous le verrons plus tard. En attendant, M. le