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l’influence du théâtre espagnol. « L’influence de Lope et de son école, nous dit-il quelque part, se fait sentir dans cette recherche des scènes terribles qu’on a si souvent constatée chez Corneille. L’emploi de l’extraordinaire, et du merveilleux même, peut se ramener, en grande partie, à l’influence du théâtre espagnol. Lui-même préférait, parmi ses tragédies, colles qui abondent en situations capables d’éveiller l’épouvante. » Le « merveilleux, » dans laquelle de ses tragédies Corneille l’a-t-il donc employé, dans Polyeucte ou dans Rodogune ? Mais, pour l’emploi de « l’extraordinaire, » je crains, en vérité, que M. G. Huszär ne le confonde avec l’emploi de l’histoire, tel que nous venons précisément d’essayer de le définir ; et on voit, si je ne me trompe, comment cet emploi de l’histoire sauve ici Corneille du reproche, — puisque c’en est un qu’on lui fait, — d’avoir imité le théâtre espagnol. Il a tout simplement « imité » l’histoire, qui n’est, après tout, qu’une forme de l’expérience ou de la vie, dont on pourrait dire qu’elle conserve la trace comme les coquilles témoignent de l’animal qui les habita. Et, en effet, toutes les fois que l’emploi de l’histoire dans le drame ne se réduira pas, comme dans les drames historiques de Shakspeare, à n’être qu’une sorte de « chronique » dialoguée, le poète sera poussé, comme invinciblement, à la recherche des situations « extraordinaires » et « capables d’éveiller l’épouvante. » Quelques efforts que l’on fasse, comme de nos jours, pour transformer l’histoire en un recueil de renseignemens statistiques, — et je ne méconnais pas l’intérêt de cette nature de renseignemens, — on ne fera pas que l’histoire des « individus » et des catastrophes dont ils furent les auteurs ou les victimes ne continue d’être le principal attrait de la connaissance du passé. Mais ce que l’on fera bien moins encore, c’est que ce ne soit pas là ce qui parle à l’imagination des poètes et des foules. L’« extraordinaire » dans le théâtre espagnol, est tiré du « commun, » si je puis ainsi dire, ou d’une complication d’effets dont aucun pris à part ne s’écarte sensiblement du train de la vie quotidienne ; mais, dans le théâtre de Corneille, il est tiré d’ailleurs, et particulièrement de cet ordre de faits que l’histoire n’enregistre que pour les avoir précisément jugés rares ou « extraordinaires, » et, comme dit Corneille, différens de l’« ordre commun. »

« On retrouve chez Corneille, nous dit encore M. G. Huszär, un autre trait essentiellement caractéristique du drame espagnol :