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moi, à travers des éboulemens de pierres, des cailloux, des cactus, dans la première venue de ces ténébreuses portes.

Et c’est déjà effroyablement beau, bien que j’aie parfaitement compris que cela ne doit rien être auprès de ce que l’on n’ose pas me faire voir.

Des cours à ciel ouvert, grandes comme des carrousels, et taillées à même le granit énorme, à même la montagne primitive. Leurs parois verticales, dont la hauteur nous écrase, ont trois ou quatre étages superposés de galeries à colonnes trapues, le long desquelles des dieux de taille surhumaine sont en rang, comme un public figé dans quelque théâtre de la mort. Tout cela est noir dans la nuit ; mais le plafond de ces salles de Titans est le ciel tout poudré d’étoiles, et une vague lueur diffuse nous permet de distinguer la foule des gigantesques spectateurs sombres qui nous regardent venir.

Et il y en a des séries, on ne sait combien, de ces excavations sculptées, qui représentent chacune le travail de tout un peuple.

Le chevrier que j’ai pour guide, d’abord craintif, s’enhardit de plus en plus au cours de notre promenade dantesque. Maintenant il allume son fanal pour que nous entrions dans une caverne tout à fait ténébreuse, qui doit remonter à des époques antérieures, lourdement barbares, et où nous n’aurons même plus la sauvegarde des étoiles, puisque le ciel sera remplacé sur nos têtes par les granits épais de la montagne. C’est une avenue haute et profonde comme une nef de cathédrale gothique, où, sur les parois lisses, des espèces d’arceaux en relief imitent des vertèbres ; on est là comme dans l’intérieur d’une bête, d’un léviathan vidé. D’abord, tant notre petite lanterne éclaire mal au milieu de telles obscurités, il semblait qu’il n’y eût rien, ni personne, dans cette salle si longue. Mais une forme apparaît, quelqu’un se précise tout au fond ; un dieu solitaire de vingt ou trente pieds de haut, assis sur un trône ; son ombre, derrière lui, monte jusqu’à la voûte, et danse au gré de la petite flamme que nous avons apportée ; il est du même granit et du même ton noirâtre que le lieu tout entier, mais sa figure de colosse a été peinte en rouge, avec des prunelles noires sur de gros yeux blancs, des prunelles abaissées vers nous, comme dans la stupeur d’être ainsi troublé au milieu de sa paix nocturne. Le silence en est tellement sonore que les vibrations de nos voix se prolongent