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des échos, et puis elle s’apaise peu à peu ; elle s’éloigne, et c’est fini, le silence retombe...

Au sortir de cette partie voûtée, qui n’était qu’un péristyle, nous retrouvons tout de suite les étoiles au-dessus de nos têtes, mais les étoiles aperçues par échappées et comme du fond d’un abîme. Ces nouvelles cours à ciel ouvert, obtenues en supprimant la moitié d’une montagne, en enlevant du granit de quoi bâtir une ville, ont ceci de particulier que leurs murs, de deux cents pieds de haut, avec tous leurs étages de galeries superposées et de dieux rangés en bataille, ne sont pas d’aplomb, mais penchent sur vous effroyablement. On a compté sur la solidité de ces granits, — qui, depuis le sommet jusqu’à la base, se tiennent en un seul et même bloc, sans une lézarde, ni une fissure, — pour produire cet effet de gouffre qui se referme, de gouffre qui va vous engloutir.

Et puis, les cours de là-bas étaient vides. Celles-ci au contraire sont encombrées de choses colossales, obélisques, statues, éléphans sur des socles, pylônes et temples. Le plan d’ensemble ne se démêle pas, dans cette obscurité de bientôt minuit, où notre petite lanterne est si perdue ; on perçoit surtout la profusion et l’horreur ; au passage, quelque grande figure de cadavre, esquissée dans la pierre, quelque rire de squelette ou de monstre, s’éclaire un instant et rentre aussitôt dans la mêlée confuse.

D’abord nous n’avions vu que des éléphans isolés ; en voici maintenant toute une compagnie alignée, debout, trompe pendante, les seuls qui aient l’air calme, au milieu de tant d’êtres convulsés qui grimacent la mort. Et ce sont eux qui supportent sur leur dos la série des trois grands temples monolithes du milieu.

Nous passons entre ces temples et les parois penchées, les parois menaçantes du pourtour, dans une sorte de chemin de ronde où l’on continue de voir par instans les étoiles, qui jamais ne m’avaient semblé si lointaines. Et partout, des enlacemens de formes furieuses, des combats de monstres, des accouplemens horribles, des tronçons humains coupés, qui perdent leurs viscères, mais qui s’embrassent encore. Çiva, toujours Çiva ; Çiva qui a pour parure des colliers de crânes, Çiva qui féconde et Çiva qui tue ; Çiva qui a des bras multiples pour pouvoir tuer de dix côtés à la fois ; Çiva qui, la bouche tordue d’ironie, s’accouple cruellement pour pouvoir, après, tuer ce qu’il enfante ;