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Le programme de Cochin, approprié à son époque, a-t-il perdu aujourd’hui son actualité ? Je ne le pense pas ; je crois, au contraire, que les généreux esprits dont le zèle s’inspire à la même source, et qui, sous le nom de démocrates-chrétiens, se dévouent à la classe ouvrière, n’ont pas eu beaucoup à innover. Cochin eût applaudi certainement à leur ardent désir de servir l’ouvrier, sous quelque nom que ce désir se produise ; il eût applaudi à leur courage, à leur activité. Mais peut-être, avec son esprit si juste, si avisé, leur eût-il signalé certains périls. De tout temps, l’on a risqué d’aigrir davantage l’ouvrier, en ne mettant en lumière que ses souffrances, les torts dont il a à se plaindre, les injustices sociales, de même que l’on s’expose à lui donner des illusions, à le conduire à de graves mécomptes, en allant trop loin dans la voie des promesses, en exagérant ce que peuvent l’Etat, la loi. Le danger ne serait pas moindre, dans un temps surtout où les idées jacobines ont repris faveur, de frayer la voie au socialisme révolutionnaire, de familiariser l’opinion avec son succès, de faire tomber les méfiances, les craintes dont il était à bon droit l’objet. Le nombre est de plus en plus grand aujourd’hui des esprits qui considèrent qu’aimer l’ouvrier, se rapprocher de lui, panser ses plaies, le défendre contre une exploitation cupide, travailler à obtenir une meilleure répartition des avantages sociaux, c’est le socialisme. À ce compte, tous les cœurs généreux lui appartiendraient. Mais Cochin voyait tout autre chose dans le socialisme : il y voyait avant tout la suppression de la propriété individuelle. Absolument chimériques dans leur application, les doctrines socialistes ne lui semblaient que trop définies et trop positives dans les haines qu’elles inspirent, et il estimait qu’avec le parti de la destruction violente, aucune transaction n’était possible, aucune coquetterie inoffensive. Au fond, comme il l’a écrit, l’homme et la société ne se nourrissent que de cinq ou six grosses vérités, que l’on peut appeler le pain, la chair et le vin des nations. Lorsque l’homme a dit : « Mon Dieu, ma femme, mes enfans, mes parens, ma maison, il a nommé les principaux biens dont il lui soit donné de jouir en cette vie. » Or, ce sont ces biens, la religion, la famille, la propriété que détruit le socialisme, et en retour desquels il ne promet que de fallacieuses compensations. Les démocrates-chrétiens ne peuvent