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s’était laissé aller à un enthousiasme qui passait un peu la mesure : « Qu’une nation illustre, chrétienne, généreuse, éclairée, qui possède des orateurs, des poètes, des historiens, contienne, tolère, justifie, autorise des hommes qui achètent des hommes, des pères qui vendent leurs enfans, des magistrats qui chassent aux esclaves, des femmes qui ne servent qu’à reproduire des enfans qui seront vendus ; des mœurs qu’aurait flétries, des lois qu’aurait réprouvées l’antiquité païenne, ah ! je ne crois pas qu’on rencontre dans l’histoire un démenti plus douloureux infligé à la sagesse humaine, et un mécompte plus dur imposé à de généreuses espérances. »

Sa campagne contre l’esclavage ressemble à une véritable croisade : il se multiplie, écrit, parle, remue la presse ; se met en rapport, au nom du comité anti-esclavagiste, dont il est le secrétaire, avec les abolitionnistes de tous les pays ; agit auprès des gouvernemens, et d’une façon particulièrement pressante auprès de l’empereur du Brésil. Ses deux volumes sur l’abolition de l’esclavage, composés à la suite d’une véritable enquête sur les colonies du monde entier, constituent une œuvre magistrale.

Il lui avait semblé qu’en présence d’un fléau comme l’esclavage la voix la plus humble devait faire entendre sa protestation. Il était, du reste, pénétré de la conviction que le bon droit l’emporte toujours à la longue, et que les campagnes entreprises contre l’injustice finissent nécessairement par triompher. Il avait pitié à la fois des opprimés et des oppresseurs, — oui, des oppresseurs, pour le mal qu’ils se font à eux-mêmes. Il ne croyait pas qu’on pût séparer l’idée du christianisme de celle d’une pareille croisade. « On n’a pas, disait-il, aboli l’esclavage avant lui ; on ne l’abolit pas en dehors de lui, on ne l’abolira pas sans lui. » L’intervention si persévérante de Cochin a certainement porté ses fruits, et on peut à juste titre lui attribuer une part importante dans l’abolition de l’esclavage au Brésil.

Au fond, dans toutes les luttes auxquelles il s’est associé, ou dont il a eu l’initiative, c’est toujours, on le voit, la liberté qui est en cause et qui fait l’objet de ses efforts. Nous le pourrions constater une fois de plus, si nous suivions la campagne qu’il mena avec ses amis pour renverser le monopole universitaire et conquérir la liberté de l’enseignement. Mais c’est la période la plus connue de sa vie. La part qu’il a prise à la