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folies de la foule et des déceptions de la vie. » Tout entier à ce travail, Cochin prit alors la résolution de renoncer définitivement à la vie publique.

Il n’avait, du reste, pas eu de peine à s’élever aux spéculations philosophiques. Au cours de sa vie si remplie et, à la fois, si morcelée, si dispersée en apparence, il avait toujours gardé le secret de la vie intérieure. J’ai eu occasion de constater plus d’une fois à quel point il avait pris l’habitude de vivre dans le monde invisible, dans ce monde qu’il a si bien décrit, où résident l’art, l’idéal, la poésie, la justice, la certitude, Dieu enfin, qui en est le centre et le pivot. Ceux qui le connaissent insuffisamment pourront être surpris de mon affirmation : elle est justifiée. Peu d’hommes parmi ses contemporains, même les plus religieux, ont possédé au même degré le don si rare de la réflexion, cette faculté maîtresse par où l’âme se retrempe en sa source, se recueille dans son fond.

Mais Cochin n’a laissé que des fragmens du grand ouvrage où il avait dessein d’exposer toute l’économie de la doctrine chrétienne, — fragmens écrits au jour le jour, sans apprêt et tout naturellement, quelques-uns d’une rédaction achevée, d’autres à l’état de simples notes. L’un de ses fils, M. Henry Cochin, a entrepris de les classer dans un ordre qui représentât les grandes divisions de l’ouvrage et formât un tout homogène. C’est ainsi que nous possédons le livre intitulé : Les Espérances chrétiennes. Si inachevée et incomplète qu’elle soit, l’œuvre est pleine de beautés, d’envolées, de démonstrations originales, saisissantes, faites pour émouvoir quiconque cherche de bonne foi la lumière.

Cochin s’y est complu, ne se plaignant pas d’avoir eu très jeune, avec les vérités éternelles, la rencontre qu’il faut accepter tôt ou tard. La plupart des hommes, disait-il, aiment à reculer cette entrevue jusqu’au moment de quitter le monde ou la vie ; ils reçoivent la religion comme on prend, le soir, un flambeau avant d’entrer dans les ténèbres. « Du moins-, ajoutait-il, mon premier acte de foi n’aura pas fait alliance avec mon dernier soupir. » Son livre était, à ses yeux, un nouvel essai de démonstration de la vérité par l’expérience de la vie. C’était, en effet, par cette expérience que s’était formée sa philosophie. « Je ne suis pas un docteur ni un prédicateur, disait-il. Je suis un homme du monde, emporté par le tourbillon des études, des affaires, de