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1er  juin. — Décidément, c’est Janina. Préparons les paquets. Maurice tousse encore. Aussi M, Cambon, toujours gracieux, nous fait-il télégraphier que nous sommes autorisés à partir sans attendre l’arrivée de notre successeur,

10 juillet. — J’ai été bien émue en disant adieu aux Sœurs et aux Pères, Eux, ne reverront jamais leur pays, ils le savent Ils sont résignés. Et puis, tout de même, au moment des adieux, je les vois bien angoissés…

17 juillet. — En route. Nous voici sur le chemin du retour. Nous sommes dévorés par toutes sortes d’insectes, surtout des punaises. Aux haltes, il faut mettre les quatre pieds des lits dans des jarres d’eau. Malgré cette précaution, ce pauvre bébé, qui leur offre une proie plus tendre, est en sang.

Quel changement, et comme, malgré la belle saison, les pays que nous traversons semblent misérables ! Les boutiques éventrées restent fermées, le commerce est tué pour longtemps, car, par ici, on n’a pas massacré seulement des Arméniens, mais aussi des Grecs, des Syriens et des Juifs, — en somme tous les riches.

Notre marche est retardée par une masse de chariots d’Arméniens qui nous précèdent. D’autres nous suivent. Tous ceux de Sivas ou des environs qui songeaient à émigrer en Europe, mais n’osaient à cause des brigands, ont profité de notre escorte. Nos zaptiés ont commencé par les bousculer, mais un mot brutal de Maurice à leur chef a tout remis en ordre. Même, au défilé qui m’avait effrayée, en venant[1], Maurice a voulu qu’une partie de l’escorte restât en arrière pour être certain que quelques bandits ne nous sépareraient pas des Arméniens pour les rançonner. Et puis, Panayoti veille, toujours à cheval ; alors, partout où nous campons, campent les émigrans. Ce cortège est plutôt désagréable, car ils font lever devant nous un nuage de poussière suffocant.

Ah ! que cela m’a fait donc plaisir d’apercevoir la mer !

Nous arrivons aux premières maisons de Samsoun faits comme des voleurs. Trouvé là, venu au-devant de nous, M, de

  1. Il en est parlé dans le Carnet de route. Il y eut là une alerte, en venant de » Samsoun (port de la Mer-Noire) à Sivas, qui est à sept journées de marche dans la montagne, et l’escorte dut charger ses armes, — mesure de précaution que M. Carlier tenta vainement de dissimuler à sa jeune femme, à qui une émotion vive pouvait être fatale, étant donné son état. M.-F.