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plus goûtés au dehors que dans leur propre pays. Sir Leslie Stephen nous cite précisément le cas, bien caractéristique, de l’un de ces écrivains d’exportation. Il nous rappelle l’influence énorme qu’a eue, dans toute l’Europe, la publication des poèmes attribués à Ossian : dans toute l’Europe excepté en Angleterre, « où l’on chercherait vainement la plus légère trace d’un effet produit par les poèmes d’Ossian. » Il y a, de la même façon, je crois l’avoir dit déjà, un vieux roman français de Claude Tillier, Mon oncle Benjamin, qui non seulement est resté jusqu’à présent une des œuvres les plus aimées du public allemand, mais qui, de l’aveu de tous les historiens, a été un des facteurs principaux de l’évolution du roman en Allemagne. De même encore Hoffmann, Henri Heine, et bien d’autres, ont trouvé un accueil infiniment plus favorable à l’étranger que dans leur patrie. Ce sont ceux-là qu’on pourrait proprement considérer comme les représentans de la « littérature cosmopolite : » mais ce serait à la condition de ne pas oublier qu’ils ne nous apportent jamais qu’un écho bien affaibli de l’esprit de leur race, et que la connaissance de leurs œuvres ne nous aide guère à entrer en communion avec les peuples étrangers d’où ils nous sont venus. Et d’ailleurs leur « cosmopolitisme, » qu’il soit inconscient ou voulu, n’a guère qu’une signification tout accidentelle. Comme le dit très justement sir Leslie Stephen, « nous aimons aujourd’hui à planter chez nous toute sorte de fleurs exotiques : mais bien peu d’entre elles prennent racine ; et celles-là seules parviennent à pousser qui d’avance sont appropriées aux conditions de notre sol. »


T. DE WYZEWA.